Procès des attentats : la défense d’Ibrahim Farisi plaide son acquittement, comme l’avait requis le parquet fédéral
La défense d’Ibrahim Farisi a plaidé mardi son acquittement pour participation aux activités d’un groupe terroriste devant la cour d’assises chargée de juger les attentats du 22 mars 2016. Le parquet fédéral, partie poursuivante, avait lui-même déjà requis un tel acquittement il y a quelques semaines. Les avocats de l’accusé, Mes Sophie Berger et Xavier Carrette, ont insisté pour que leur client soit blanchi sur toute la ligne, et non au bénéfice du doute.
Ibrahim Farisi a été incriminé dans cet imposant dossier, visant des faits d’une gravité extrême, parce qu’il a aidé son frère Smail à vider l’appartement de ce dernier, avenue des Casernes à Etterbeek. Le studio avait servi de planque aux auteurs des attaques. Les procureurs fédéraux avaient toutefois estimé que les éléments à charge de cet accusé étaient insuffisants pour asseoir une culpabilité.
Les avocats d’Ibrahim Farisi sont revenus, durant leur plaidoirie, sur ces différents éléments et ont insisté pour que leur client soit acquitté sur toute la ligne et non au bénéfice du doute. Me Sophie Berger a d’abord fait référence à des éléments du réquisitoire du parquet fédéral et à des points d’interrogation demeurés en suspens après sept mois de débats. La réunion de famille au cours de laquelle Smail, le frère d’Ibrahim, aurait informé le reste de la famille de ce qu’il savait a-t-elle réellement eu lieu? Et quand? Ibrahim savait-il qu’il aidait des terroristes en se débarrassant de leurs affaires? Pour l’avocate, toutes ces incertitudes se résument en une seule question: lorsqu’il a prêté main forte à son frère ce jour-là, son client savait-il que des terroristes avaient séjourné dans le studio de l’avenue des Casernes?
Aux yeux de la pénaliste, il n’y a aucune preuve à cet égard. L’accusé doit donc, comme l’avaient demandé les avocats des parties civiles, bénéficier de la présomption d’innocence. Lors de son exposé, la plaideuse a utilisé la métaphore du prisme de verre, qui a donné une autre vision à des actions ou éléments sans importance. Ce projecteur leur a donné “une couleur qu’ils n’ont pas en réalité“. Pour illustrer son propos, Me Berger a énuméré plusieurs éléments du dossier. Ibrahim Farisi était par exemple allé boire un verre au centre commercial City 2 à Bruxelles la veille des attentats, au même moment où l’accusé Osama Krayem s’y promenait.
Pour l’avocate, puisque les deux hommes n’ont jamais été en contact, il ne s’agit là que d’une “malheureuse coïncidence“. En outre, le jour du déménagement des effets laissés dans l’appartement etterbeekois, l’accusé avait appelé un taxi depuis un phone-shop, modus operandi utilisé par la cellule terroriste. Il s’avère en fait que l’abonnement téléphonique d’Ibrahim Farisi avait été suspendu pour non paiement de factures. Et si ce jour-là, il portait un gant en latex à la main gauche, c’est parce qu’il s’était coupé. Qui plus est, l’accusé a manipulé les objets des deux mains, a-t-elle relevé.
Dans son réquisitoire, la procureure fédérale Paule Somers avait déjà demandé de ne pas tenir compte de ces éléments. L’avocate en conclut dès lors que les accusations portées contre Ibrahim Farisi ne reposaient sur aucune preuve. Le procès pourrait durer encore cinq ans, voire dix ans, la preuve qu’Ibrahim savait tout de l’appartement n’existe pas et ne viendra jamais, a-t-elle insisté. “Le constat est terrible“, a résumé Me Berger. “À un moment donné, vous, moi, on peut être pris dans un engrenage. Toutes ces petites choses de rien du tout peuvent, à un moment donné, laisser croire à quelqu’un que ces actions s’inscrivent dans un projet innommable qui est de tuer aveuglément des personnes. Et la conséquence de cet engrenage pour Ibrahim, ce sont sept mois de privation de liberté sous un régime carcéral strict. Ce sont surtout sept ans. Cela fait sept ans qu’il porte sur lui une étiquette terroriste avec toutes les conséquences sociales, psychologiques et professionnelles que vous pouvez imaginer.”
Au regard de ces constatations, l’acquittement sur toute la ligne que les avocats d’Ibrahim Farisi ont demandé mardi est “important pour lui“, a souligné Me Berger. Pour la pénaliste, certes “la vie est pleine de doutes”, a-t-elle reconnu, mais il n’est pas plausible de penser qu’Ibrahim Farisi savait qui avait séjourné dans la planque. De plus, ce n’est pas à lui de prouver son innocence, ce qui est en outre impossible lorsqu’il s’agit de démontrer quelque chose qui n’a pas eu lieu.
10h30 : la lettre de Xavier Carrette à Ibrahim Farisi
Son autre avocat, Xavier Carrette, a ensuite pris la parole. Il avait également écrit une lettre à ce dernier mais, pris par l’émotion, il n’a pas été en mesure de la lire, laissant ce soin à sa co-plaideuse, Me Sophie Berger. “Je suis devenu l’ange gardien de mon ange gardien“, lui écrit-il.
“Nous sommes presque au bout du chemin. Le chemin a été long mais, au final, la vérité va triompher“, y entame l’avocat. Il raconte alors comment il a rencontré son client en 2015, alors que ce denier était taximan, et la manière dont il était devenu son chauffeur de taxi attitré, son “ange gardien sans le savoir“. Les deux hommes sont restés en contact durant plusieurs mois jusqu’à la “surprise” du pénaliste au moment où il est prévenu de l’arrestation d’Ibrahim.
Lors de sa visite en prison, Me Carrette dit avoir compris que son client lui disait la vérité. “Ton regard transpirait la vérité. Et je suis devenu l’ange gardien de mon ange gardien.” Il a en effet vu son client “dépérir, sombrer dans une profonde dépression. J’ai assisté à ta descente aux enfers, impuissant. La lueur dans tes yeux n’était plus la même”. L’avocat a expliqué qu’il aurait préféré ne pas voir Ibrahim Farisi comparaître devant la cour d’assises en raison de l’impact psychologique de ce renvoi.
“Ce que j’ignorais, c’est que moi-même je ne le supporterais pas.” L’accusé est donc renvoyé devant la cour et la police est mandatée pour l’arrêter quelques semaines avant le début du procès. Mais il reste introuvable. “C’est alors qu’on m’a demandé quelque chose d’impensable pour un avocat : te convaincre de te présenter pour être arrêté”, s’est souvenu Me Carrette. “Honnêtement, ce jour-là, tu m’as fait une confiance incroyable, sans certitude d’être à nouveau libéré avant le procès et alors même que tu risquais l’isolement.” “Jamais plus, tu n’as pu reprendre pied et prendre le recul nécessaire“, a regretté le pénaliste, citant les dérapages de son client et le micro malmené de son banc d’accusé, notamment.
“Tu as laissé rarement de bonnes images de ton passage. Et ce n’est qu’après de nombreuses interventions de la présidente que tu as compris qu’il s’agissait aussi de ton procès.” Si l’accusé comparait devant la cour, c’est parce que l’avocat de son frère Smail, Me Sébastien Courtoy, décédé au mois de février dernier, a voulu la cour d’assises pour son client et qu’Ibrahim et son conseil ont été “aspirés“. “Mais il (Me Courtoy, NLDR) avait raison : devant les assises, la vérité triomphe“, a rappelé Me Carrette dans cette lettre lue par sa co-plaideuse, elle aussi prise par l’émotion en fin d’intervention.
“Je te demande de me faire une toute dernière fois confiance. Après la décision (du jury), promets-moi de tout faire pour revivre. Je ferai pareil à mon niveau. Non, tu n’es pas là pour un sac à dos. Tu es là parce que tu es un bon frère, profondément humain. J’ai le souvenir d’une très belle personne. Redeviens-la“, l’a-t-il prié en conclusion de sa missive.
> Tous nos articles sur le procès des attentats de Bruxelles
avec Belga