Travail pénible, salaires trop bas : comment améliorer les conditions des aides-ménagères ?

La question des frais supplémentaires imposés par certains opérateurs a fait l’objet d’un accord entre les différents acteurs du secteur. Mais cela ne concerne pas les conditions de travail des aides-ménagères. En la matière, des disparités importantes existent entre les entreprises du privé commercial et celles relevant du non-marchand. Démarchandiser est-il la (ou une) solution ? Un colloque organisé ce jeudi au parlement bruxellois abordera, entre autres, cette question.

Vendredi dernier, le ministre de l’Economie et de l’Emploi, Bernard Clerfayt (DéFI) rencontrait les acteurs du secteur des titres-services pour trouver une solution au problème des frais supplémentaires réclamés aux clients par certains opérateurs en raison de l’augmentation des coûts énergétiques et des frais de transport. Accord conclu : le secteur devra respecter les clauses contractuelles prévues dans les contrats et il s’engage à encadrer ces frais et à les rétrocéder prioritairement aux travailleuses du secteur (les femmes y sont largement majoritaires).

Quant à la réforme du secteur des titres-services, prévue dans la Déclaration de politique générale du gouvernement bruxellois, elle est bien sur la table du ministre. Mais dans quel sens ira-t-elle ? Il faut s’attendre à une augmentation du prix du titre-service, 9 euros aujourd’hui. Ses modalités et son ampleur sont toujours à l’étude. Selon le cabinet de Bernard Clerfayt, le texte viserait aussi l’amélioration des conditions de travail des aides-ménagères. De quelle manière? On devrait en savoir plus d’ici un peu plus d’un mois. Le projet de réforme est attendu pour un examen en première lecture avant le 21 juillet. Pendant ce temps, les négociations salariales menées au niveau fédéral peinent à aboutir.

Travail pénible

En attendant, sur le terrain le quotidien des aides-ménagères reste rude. Karima travaille depuis 12 ans dans le secteur des titres-services. Reproduire inlassablement les mêmes gestes, se baisser, se relever, utiliser des produits souvent nocifs : « J’ai 45 ans, mais c’est comme si j’en avais 80, tant je suis exténuée et physiquement éprouvée. Mes bras et mes mains me font souffrir, je ne suis plus capable d’effectuer certains mouvementsJe ne pourrai pas continuer comme ça jusqu’à la retraite. » Un travail pénible, pour un salaire bien trop modeste, et pas de quoi couvrir l’entièreté de ses frais médicaux. En CDI, elle a encore la chance de prester un temps partiel à 31 heures par semaines, qui lui garantit un revenu de 1600 euros par mois. Car malgré les dommages physiques et le stress, sans un minimum d’heures de travail, impossible de s’assurer des revenus décents. Pourtant, et malgré la pénurie de main d’œuvre dans le secteur, c’est le lot de nombreuses travailleuses. Pour le reste, les régimes proposés varient d’une entreprise à l’autre, concède Arnaud Le Grelle, porte-parole de Federgon (Fédération de prestataires de services RH) : si certaines remboursent l’intégralité des frais de déplacement en transport en commun, beaucoup n’en couvrent qu’une partie, certaines proposent des formations ou des chèques repas, inexistants chez les autres. De manière générale, beaucoup de travailleuses se sentent insuffisamment protégées, insiste Karima. Les journées peuvent être longues, les temps de déplacement entre clients ne sont pas rémunérés, il arrive aussi que ces derniers se conduisent de manière irrespectueuse, enchaîne la députée bruxelloise Delphine Chabbert (PS), qui organise un colloque sur le sujet ce jeudi au parement bruxellois (voir ci-dessous). La situation est-elle plus verte dans les entreprises relevant du non-marchand ? Car, et cela est peu connu du grand public, il est possible de recourir à des aides-ménagères engagées dans des entreprises reconnues en économie sociale, même si elles restent extrêmement minoritaires dans la capitale.

Des titres-services dans le non-marchand

A Bruxelles, contrairement à la Wallonie, la grande majorité des sociétés de titres services relèvent du privé commercial. C’est le cas de 81% d’entre elles, selon une étude réalisée par Idea Consult en 2020. Le reste se répartit notamment entre ASBL, ALE (Agences locales pour l’emploi) et CPAS. Entre les deux, les régimes varient fortement. Si les conditions sont disparates dans le privé commercial, elles sont plus homogènes dans le non-marchand.

Ainsi chez Pretnet Service, une ASBL forestoise créée par la mission locale et l’ALE, reconnue en économie sociale, les candidates se voient proposer d’abord au minimum un mi-temps (19h, le minimum légal), avant de rapidement pouvoir augmenter leurs heures en fonction de leur demande, explique la coordinatrice Angélique Wespet. Les frais de transport en commun sont intégralement à charge de l’employeur. Il en va de même à la société Remue Ménage à Saint-Gilles. Des deux côtés, les aide-ménagères ont droit à des formations (ergonomie, informatique, gestion de conflits, nettoyage écologique), ce qui peut être proposé également mais n’est pas garanti dans le privé commercial. Autre avantage : une prestation annulée par le client ne pénalisera pas la travailleuse. Elle sera de toute façon rétribuée, assure Rolin Mangala, responsable de Remue Ménage. Les salariées reçoivent également des chèques-repas, (6 euros par jour presté). La différence se marque aussi dans l’accompagnement et l’encadrement des engagées. Elles seront accompagnées pour le premier rendez-vous chez un nouveau client pour éviter des déconvenues, « vérifier que tout se passe bien, évaluer que le nombre d’heures demandées correspond à celui nécessaire pour effectuer toutes les tâches réclamées. », ajoute encore Angélique Wespes. Enfin, le salaire mensuel est garanti, même ne cas d’absence de client, ou de retard dans la remise des titres-services. « Le but c’est la mise à l’emploi », précise Charles Spapens (PS), échevin de l’Emploi à Forest.

Evolution de carrière

Autre système :  les structures bénéficiant d’un agrément, comme la Centrale de soins à domicile (CSD), qui propose aussi à ses clients des aides-ménagères, ainsi que des aides à domicile et des aides-soignantes. Mais ici, pas de titre service. Le personnel a un statut d’employé, et non d’ouvrier comme dans les titres-services. Le graal, pour des travailleuses comme Karima. Ici, les services proposés s’adressent à un public spécifique : des personnes en perte d’autonomie, porteuses de handicap, ou en vulnérabilité psychique. Le bénéficiaire paie en fonction de ses revenus. « Chez CSD, les aides-ménagères sont employées en CDI et leur statut inclut également une heure de réunion par semaine, pour aborder les difficultés qu’elles peuvent rencontrer sur le terrain, mais également des heures de formations. En cas de problème, une assistance sociale est là pour les accompagner. », indique Stéphane Heymans, le directeur général de CSD Bruxelles. L’objectif est de permettre aux aides-ménagères une évolution de carrière, de se former pour devenir aides-familiales, par exemple. « Dans le privé commercial, il n’y a aucun incitant à aider les travailleuses à se former à d’autres métiers. » Démarchandiser, la solution ? « C’est un outil intéressant de mise à l’emploi pour des publics peu qualifiés, à condition de l’envisager comme tel, avec des heures de formation, pour offrir la possibilité d’une évolution de carrière, ce qui n’est pas faisable dans un système marchand où tout est axé sur le profit et la rentabilité. Subsidier de manière aussi massive, comme le fait la région bruxelloise, un secteur d’activité relevant du privé est problématique.», analyse Stéphane Heymans. Karima : « J’aspire à faire autre chose, si on me donnait la possibilité de faire une formation qualifiante, je pourrais peut-être l’envisager. Mais dans ma situation, comment voulez-vous que je puisse l’envisager ? »

« La question est la suivante : pourquoi ces métiers si essentiels à nos vies sont si mal payés et si dévalorisés ? », résume Delphine Chabbert. La question sera au cœur du colloque qu’elle organise ce jeudi au parlement bruxellois. « Aides-ménagères, vous êtes essentielles » donnera la parole aux premières concernées, et proposera des pistes de réflexion pour améliorer leurs conditions de travail et de santé.

S.R.