Transfert d’Abdeslam en France: “Dans un État de droit digne de ce nom, même le pire des criminels a des droits”

Le transfert de Salah Abdeslam vers la France continue de faire réagir avocats et bâtonniers.

Mercredi, Salah Abdeslam a quitté la prison de Haren et a été remis aux autorités françaises à la frontière, après quoi il a été incarcéré dans une prison en région parisienne. Le terroriste avait été prêté par la France à la Belgique afin de comparaître au procès des attentats du 22 mars 2016, sous la condition d’être ensuite ramené en France. Mais en octobre, la cour d’appel de Bruxelles a “suspendu temporairement” le retour d’Abdeslam dans l’Hexagone, à la suite d’un recours de ses avocats.

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Le bâtonnier Plasschaert s’indigne de la décision belge

Dans un État de droit digne de ce nom, même le pire des criminels a des droits“, a écrit Me Emmanuel Plasschaert au sujet du transfert de Salah Abdeslam vers la France, dans une lettre adressée à ses consœurs et confrères, comme le relate Le Soir dimanche. Le bâtonnier de l’Ordre francophone du barreau de Bruxelles est pour le moins interpellé par cette décision des autorités belges.

En sommes-nous revenus au temps où, lorsque le prince n’est pas satisfait d’une décision de justice, il s’en affranchit au lieu d’exercer une voie de recours?“, a écrit le bâtonnier. “Après la déplorable désinvolture dont l’État fait preuve depuis des années dans la publication des places vacantes au sein de la magistrature et des services administratifs, après la scandaleuse non-exécution de milliers de décisions de condamnation prononcées par les cours et tribunaux dans le cadre de la crise de l’asile, il faut désormais constater que lorsqu’une cour d’appel prononce, à l’issue d’un débat contradictoire, une interdiction à charge de l’État, il n’en tient pas compte.”

Ce constat d’étonnement, à tout le moins, du bâtonnier Plasschaert, est partagé par l’Association syndicale des magistrats (ASM).

Une “violation d’une décision de justice”, disent les avocat

Les conseils de Salah Abdeslam ont réagi, dimanche soir, dans la foulée du bâtonnier de l’Ordre francophone du barreau de Bruxelles et de l’Association syndicale des magistrats (ASM), au transfert furtif de leur client.

Les ministres de la Justice belge et français, avec le concours du parquet fédéral et du parquet général français, se sont concertés pour organiser la violation d’une décision de justice, alors qu’il existait des voies de recours pendantes permettant, éventuellement, de réformer cette décision [celle d’accorder provisoirement que Salah Abdeslam soit détenu en Belgique]”, ont expliqué Delphine Paci, Michel Bouchat et Harold Sax.

Les ministres et les procureurs qui ont participé à cette mascarade portent sur eux une lourde responsabilité, celle d’avoir agi comme des bandits en ayant recours à la force pour s’affranchir des règles qui s’imposaient à eux. Ils portent aussi la responsabilité d’avoir fragilisé, plus encore, les règles de l’État de droit. En agissant comme ils l’ont fait, ils contribuent à jeter le discrédit sur une institution qui viendra, demain, au nom du respect des lois, réclamer des condamnations“, ont-ils analysé.

Il y a peu, le plus haut magistrat de notre pays avait qualifié la Belgique d’État voyou face à la déliquescence du pouvoir judiciaire, organisée par le pouvoir exécutif. Force est de constater que la Belgique persiste et signe, cette fois-ci avec le concours de certains procureurs. La question n’est pas celle du sort que mérite notre client, elle est celle du respect que méritent la démocratie et l’État de droit. Sur ce terrain-là, parce que nous sommes avocats et que nous sommes citoyens, nous ne pourrons rien concéder“, ont conclu les trois avocats.

Quant aux raisons qui ont été invoquées par le parquet fédéral pour justifier ce transfèrement soudain, c’est “pire qu’une mauvaise analyse juridique“, ont-ils estimé.

Le Parquet fédéral fait référence à une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne pour justifier sa position, alors que cette décision n’est manifestement pas transposable au cas d’espèce. […] Pire qu’une mauvaise analyse juridique, le parquet fédéral belge a pris la parole et a sciemment et publiquement menti, en tentant de manipuler les peurs, pour justifier sa position. Il n’est pas question de débat ou d’argument juridique ici, il suffit de constater qu’il est faux de dire que notre client risquait d’être remis en liberté à défaut de peine de prison à exécuter. Notre client a été condamné en 2018 à purger une peine de 20 ans de prison dans le cadre de la fusillade à la rue du Dries qui a précédé son arrestation. Personne n’ignore cette réalité […]”, a souligné le trio à la défense de Salah Abdeslam.

Avec Belga – Photo : BX1

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12 février 2024 - 07h17
Modifié le 12 février 2024 - 07h17