Rouvrir l’Horeca le 1er mai : les bourgmestres ont-ils la latitude de l’autoriser ?
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Le 1er mai va-t-il se transformer en une révolte des terrasses ? Les autorités s’affrontent autour de la date de réouverture de l’Horeca.
Si leur réouverture est programmée, par décision du Comité de concertation, au 8 mai, certains patrons d’établissements Horeca l’ont déjà annoncé : ils rouvriront le 1er mai, date d’abord avancée pour leur réouverture, avant que celle-ci ne soit postposée lors du dernier Codeco. Suite à cela, le gouvernement fédéral a lancé, ce jeudi, des appels à bien respecter les règles ; néanmoins, certains semblent déterminés, et plusieurs bourgmestres ont fait part de leur malaise.
► Reportage | Réouverture en terrasse le 8 mai : certains établissements Horeca n’attendront pas jusque-là et rouvriront le 1er mai
Ainsi, certains bourgmestres ont annoncé ne pas vouloir faire verbaliser les cafetiers ouverts le 1er mai. C’est notamment le cas à Liège, où le bourgmestre Willy Demeyer (PS) et le gouverneur de province, Hervé Jamar (MR) ont annoncé sur RTL-TVI “qu’ils ne s’y opposeraient pas“.
Quant à Bruxelles, la plupart des bourgmestres préfèrent attendre une réunion afin de décider de manière conjointe une position commune. Cependant, le bourgmestre de Jette, Hervé Doyen (cdH), se disait ce vendredi dans La Capitale “favorable à une tolérance pour les terrasses dès le 1er mai“. Une position qui n’est pas du tout celle défendue à Etterbeek par Vincent De Wolf (MR) qui a annoncé qu’il privilégiera la prévention pour que les terrasses sorties soient rentrées, mais que si les tenanciers s’obstinent, ils seront sanctionnés.
► Décryptage | Vincent De Wolf souhaite que les bourgmestres bruxellois décident de l’ouverture des terrasses
Une opposition entre les volets administratifs et judiciaires de la police
Mais, au final, les bourgmestres ont-ils la latitude de décider, ainsi, que la police intervienne ou non ? “Les bourgmestres sont à la tête de la police locale, qui a elle-même deux types de missions : d’une part des missions de police administrative (veiller au maintien de l’ordre public, qu’il n’y ait pas de débordements sur l’espace public) et d’autre part des missions de police judiciaire (recherche d’infractions pénales)“, explique l’avocate spécialisée en droit administratif, Patricia Minsier, “Le bourgmestre est, en l’occurence, le chef de la police en tant que police administrative : il peut donc donner des injonctions à la police pour que la police mette fin à des débordements qui causent atteinte à l’ordre public. Il ne peut, par contre, en principe, pas donner d’ordre à la police s’agissant des missions de recherche d’infraction judiciaire. Ces missions reviennent au ministère public, et donc aux autorités judiciaires“.
Selon cette avocate, “les bourgmestres ne pourraient pas légalement, à mes yeux, donner ordre à la police locale de ne pas dresser de constats d’infraction pénale. Par contre, ils pourraient, dans le cadre de leurs missions de police administrative, demander à la police de faire preuve d’une certaine latitude lorsqu’ils constatent des débordements qui touchent à l’ordre public“.
Interview de Patricia Minsier, avocate spécialisée en droit administratif
Le Collège des Procureurs généraux forcé de réagir
Le Collège des Procureurs généraux, qui réunit les différents procureurs du Roi, a réagi ce jeudi soir. Dans un courrier adressé aux différents parquets du pays, le Collège rappelle que c’est aux parquets de rechercher et poursuivre les infractions. Et il demande donc aux procureurs, auditeurs du travail et policiers d’appliquer strictement la politique criminelle décidée pour lutter contre la propagation du Covid-19 dans notre pays.
► Article | Le Collège des Procureurs généraux met en garde ceux qui veulent rouvrir avant le 8 mai
Dans ce courrier, les Procureurs généraux expliquent également que cette recherche et poursuite des infractions n’est pas une compétence des autorités administratives, comme les bourgmestres par exemple.
“Le Parquet fixe la politique générale en matière de recherche d’infractions administratives. Et ce qu’a fait le Collège des Procureurs généraux, c’est de rappeler qu’il ressort de ses missions de fixer la politique en la matière, et rappeler que cette politique est que rouvrir l’Horeca le 1er mai contrevient aux règles édictées, et est une infraction pénale. Dès lors qu’il s’agit d’une infraction pénale, elles doivent être recherchées par les services de police, et ils doivent faire leur boulot : c’est ce qu’a dit le Ministère public“, explique Patricia Minsier, avocate en droit administratif.
SLFP Police : “Encore une fois, les policiers vont être extrêmement mal mis”
Les services de police se retrouvent donc placés dans une position compliquée, entre la législation fédérale à faire respecter, et les appels de certains bourgmestres à femer les yeux. “Encore une fois, les policiers vont être extrêmement mal mis par rapport aux catégories professionnelles concernées par ce ‘malentendu’ entre pouvoir judiciaire et exécutif“, regrette Vincent Gilles, président du syndicat SLFP Police.
“Cette matière touche à deux volets du travail policier : la police administrative, qui consiste en la gestion négociée de l’espace public (là, effectivement, le ou la bourgmestre ont autorité sur la police pour que ce soit bien organisé), mais d’un autre côté, lorsqu’une infraction est constatée par la police, c’est le pouvoir judiciaire qui prend la main. En l’occurrence, les procureurs généraux se sont clairement positionnés hier en insistant sur le fait que nous devons verbaliser. Et donc, comme d’habitude depuis maintenant un an et deux mois, les policiers vont devoir d’abord essayer de convaincre, par la parole, mais il arrive un moment où la parole aura atteint ses limites, et il faudra verbaliser. Et les catégories professionnelles concernées n’auront qu’à en vouloir au bourgmestre qui les aura conduit dans cette direction“, ajoute Vincent Gilles.
Interview de Vincent Gilles, président du SLFP Police
Arnaud Bruckner – Photo : Belga (illustration)