Procès des attentats de Bruxelles : la cour d’assises a trouvé comment prendre en considération les condamnations en France
Le délai pour se pourvoir en cassation contre les arrêts de la cour d’assises de Bruxelles au procès des attentats du 22 mars 2016 arrive à échéance lundi.
L’une des parties, ou plusieurs d’entre elles, pourrait décider d’interjeter un tel pourvoi si elle estime que ces arrêts contiennent un vice de forme. C’est notamment la logique juridique suivie par la cour pour prendre en considération les peines prononcées en France à l’encontre de certains des coupables qui pourrait constituer une faiblesse.
Ne pas prendre en considération ces condamnations était impossible pour la cour d’assises de Bruxelles. Dans le cas contraire, elle se serait exposée à un risque évident de voir son arrêt cassé par la Cour de cassation et de devoir recommencer le procès. Si ce risque paraît dès lors écarté, la cour d’assises n’est pas tout à fait à l’abri d’un recours en cassation tant cette prise en considération était techniquement difficile sur le plan juridique.
La cour a tout d’abord admis que les attentats commis le 13 novembre 2015 à Paris, jugés en France en 2022, et les attentats commis le 22 mars 2016 à Bruxelles “constituent la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse”, autrement dit que tous ces faits forment un “concours idéal d’infractions”.
La cour a poursuivi son raisonnement en affirmant que, dans un tel cas, c’est l’article 65 alinéa 2 du code pénal qui doit s’appliquer. Celui-ci stipule que le juge doit tenir compte des peines prononcées antérieurement si les faits qu’il juge sont liés aux premiers faits déjà jugés.
Toutefois, a constaté la cour, cet article ne peut pas s’appliquer lorsque ces peines antérieures ont été prononcées dans un autre État. La cour a par ailleurs fait observer qu’un autre article du code pénal, le 99bis, lui impose “de prendre en compte les condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un autre État membre de l’Union européenne” comme elle le ferait s’il s’agissait de condamnations prononcées par une juridiction belge.
Face à ce casse-tête, la cour a trouvé la parade. Elle s’est référée à un arrêt de la Cour constitutionnelle, laquelle avait justement été questionnée en 2020 sur ce vide juridique. La haute cour a conclu que l’exclusion de l’article 65 alinéa 2 du champ d’action de l’article 99bis “n’empêche pas le juge de tenir compte d’une autre manière des condamnations prononcées par un autre État membre de l’Union européenne, s’il estime, qu’en infligeant une sanction d’un certain degré, dans les limites du droit national, (il) ferait preuve d’une sévérité disproportionnée à l’encontre du délinquant, (…) et si la finalité de la peine peut être atteinte par une sanction d’un degré moindre”.
C’est ainsi un critère de proportionnalité qui a permis à la cour d’assises de tenir compte des condamnations prononcées en France. Elle a déterminé quelles peines devaient être prononcées de manière à ce que l’ensemble des peines infligées (en France et en Belgique) ne soit pas exagérément sévère. Cette logique juridique laisse un très large pouvoir d’appréciation à la cour dans la détermination des peines.
Concrètement, pour chacun des six coupables déjà condamnés en France, la cour a constaté que leur infliger le maximum de la peine encourue en Belgique, à savoir la réclusion à perpétuité et une mise à disposition du tribunal d’application des peines (TAP) de 15 ans, serait “d’une sévérité disproportionnée”, reprenant les termes de la Cour Constitutionnelle.
Elle a ensuite estimé que “la finalité de la peine pouvait être atteinte” – toujours selon la formulation de la haute cour – soit en diminuant la mise à disposition du TAP, soit en abaissant la peine de prison encourue via la reconnaissance d’une ou plusieurs circonstances atténuantes. Ainsi, concernant Oussama Atar, déjà condamné en France à la réclusion à perpétuité, la cour a diminué la mise à disposition du TAP d’un an.
Celui-ci a été condamné à la réclusion à perpétuité et à une mise à disposition du TAP durant 14 ans. La cour ne s’est donc écartée que très peu de la peine totale maximale.
Quant à Mohamed Abrini, déjà condamné en France à la réclusion à perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans, la cour a diminué la peine encourue, via la reconnaissance d’une circonstance atténuante, à savoir “le fait qu’il y ait des sanctions déjà infligées à Mohamed Abrini par l’arrêt du 29 juin 2022 de la cour d’assises de Paris”. Celui-ci a été condamné à une peine de 30 ans de prison avec une mise à disposition du TAP durant cinq ans.
En ce qui concerne Osama Krayem, déjà condamné en France à une peine de 30 ans de prison avec une période de sûreté égale aux deux tiers de la peine, la cour a diminué de cinq années la mise à disposition du TAP. Celui-ci a donc été condamné à la réclusion à perpétuité et à une mise à disposition du TAP durant 10 ans.
Pour Ali El Haddad Asufi, déjà condamné en France à une peine de 10 ans de prison avec une période de sûreté égale aux deux tiers de la peine, la cour a diminué la peine encourue, via la reconnaissance de trois circonstances atténuantes, à savoir “le fait qu’il y ait des sanctions déjà infligées à Ali El Haddad Asufi par l’arrêt du 29 juin 2022 de la cour d’assises de Paris”, l’absence de casier judiciaire dans son chef et le fait qu’il a fini par accepter sa culpabilité “pleine et entière”. Celui-ci a été condamné à une peine de 20 ans de prison et une mise à disposition du TAP durant 10 ans.
Enfin, concernant Salah Abdeslam et Sofien Ayari, condamnés en France, le premier à la réclusion à perpétuité incompressible et le second à une peine de 30 ans de prison avec une période de sûreté égale aux deux tiers de la peine, la cour a diminué la peine encourue, via la reconnaissance d’une circonstance atténuante, à savoir “le fait qu’il y ait des sanctions déjà infligées à [Salah Abdeslam et Sofien Ayari] par l’arrêt du 29 juin 2022 de la cour d’assises de Paris”.
Ensuite, pour fixer la peine, la cour a pris en considération une autre condamnation subie par les deux hommes, celle de 20 ans de prison, infligée en 2018 par le tribunal correctionnel de Bruxelles dans le dossier de la fusillade de la rue du Dries à Forest. Il s’agit de faits qui forment eux aussi un “concours idéal d’infractions” avec les attentats du 22 mars 2016. Ladite fusillade s’est produite sept jours avant les attaques, lorsqu’une planque de la cellule terroriste a été découverte par des policiers.
Cette condamnation à 20 ans de prison ayant été prononcée par une juridiction belge, la cour d’assises ne rencontrait cette fois aucun obstacle pour appliquer l’article 65 alinéa 2 du code pénal en cas de “concours idéal d’infractions”.
Et cet article stipule que si les peines déjà prononcées “paraissent suffire à une juste répression de l’ensemble des infractions, le juge se prononce sur la culpabilité et renvoie dans sa décision aux peines déjà prononcées”. C’est ce qu’a fait la cour d’assises. Elle n’a pas prononcé de peine à l’encontre d’Abdeslam et d’Ayari, considérant, après avoir admis une circonstance atténuante dans leur chef, que la peine de 20 ans de prison sanctionnait déjà suffisamment leurs culpabilités respectives dans les attentats du 22 mars.
Belga