Procès des attentats : l’audience brièvement suspendue après un échange tendu entre Walter Benjamin et des accusés

La journée de ce mardi constituera le dernier jour d’audience de la semaine au procès des attentats. Elle sera marquée par les témoignages de victimes des explosions.

Cette nouvelle semaine au procès a en effet été écourtée car la journée de mercredi sera consacrée aux commémorations du septième anniversaire des attaques, alors qu’un sommet européen est par ailleurs prévu à Bruxelles de longue date ces jeudi et vendredi, nécessitant l’implication de nombreuses forces de l’ordre.

Ce mardi, la cour d’assises entendra notamment Thibault Jonckheere, un employé de la Stib qui était un simple usager du métro, comme les autres victimes, le jour des faits. Il se trouvait dans le 2e wagon, celui où un kamikaze s’est fait exploser.

Suivront ensuite Anna Panasewicz, une Polonaise ayant perdu sa mère, Janina Panasewicz, lors de l’attaque, puis la famille de Gilles Laurent, un quadragénaire originaire de Bouillon, qui a lui aussi perdu la vie ce 22 mars 2016 à la station Maelbeek. Ce cinéaste et ingénieur du son, père de deux enfants, se rendait à une projection privée de son film sur la catastrophe nucléaire de Fukushima.

Le début d’après-midi sera marqué par un bref retour à l’aéroport de Zaventem, avec le témoignage de Walter Benjamin. L’auteur du livre “J’ai vu la mort en face, une vie après l’attentat“, qui a perdu une de ses jambes dans l’une des explosions à Brussels Airport, aurait dû être entendu la semaine passée mais n’avait pas pu se déplacer, étant à l’étranger à cette date.

Dans la foulée, Gaetan Meuleman viendra, de son côté, raconter son vécu de cette journée gravée dans sa mémoire. Ce secouriste, par ailleurs aussi porte-parole de l’association de victimes Life4Brussels, était venu de sa propre initiative porter secours aux victimes dans le poste médical avancé installé dans l’hôtel Thon, situé à deux pas de la station Maelbeek.

Enfin, la journée se clôturera avec la famille de Patricia Rizzo, une Belgo-Italienne fauchée par l’attaque dans le métro alors qu’elle avait 48 ans et prenait exceptionnellement les transports en commun pour se rendre au boulot.


11h21 : Les décisions justifiant les fouilles à nu des accusés désormais hebdomadaires

Les décisions individuelles justifiant les fouilles à nu des accusés détenus ne seront plus remises de manière quotidienne mais bien hebdomadaires. C’est ce qu’a annoncé mardi matin La Présidente, après avoir reçu un courrier en ce sens de l’avocat de l’État belge.

Depuis le début du procès, des fouilles à nu des sept accusés détenus à ce procès ont lieu chaque jour d’audience à la prison de Haren, juste avant le transfèrement vers le Justitia. Jusqu’à il y a quelques jours, elles étaient accompagnées d’une génuflexion quotidienne des accusés. Une pratique qui a pris fin au début de la semaine passée à la suite d’une procédure en référé de six des sept intéressés, seul Osama Krayem ne s’étant pas joint à cette démarche.

Depuis le mardi 14 mars, il n’y a donc plus de génuflexion lors de la fouille à nu, qui, elle, continue à avoir lieu quotidiennement, comme le confirment chaque jour d’audience, la plupart des accusés détenus en répondant positivement à la question en ce sens posée par la présidente de la cour, à la demande des avocats de la défense.

En application d’une directive du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne consécutive à un premier jugement en référé, cette fouille était justifiée depuis début janvier par une décision individuelle remise chaque jour aux avocats des accusés détenus et à la présidente de la cour. Mais, selon une nouvelle directive du ministre de la Justice datée du 15 mars (au lendemain d’un second jugement en référé estimant ces génuflexions illégales), il n’y aura plus de décisions individuelles remises de manière quotidienne. Un document sera désormais envoyé de manière hebdomadaire, justifiant, selon les avocats de la défense, les fouilles à nu pour l’ensemble de la semaine.

Les accusés détenus dénoncent toujours le caractère systématique des fouilles auxquelles ils sont soumis.


11h34 : “C’est le mal de tête qui m’a fait comprendre que j’étais vivant“, raconte une victime

Au moment de la détonation à Maelbeek, “je suis plongé dans le noir, dans le silence, comme si mes oreilles avaient été débranchées“, a raconté mardi Thibault Jonckheere. Le quinquagénaire, qui se trouvait dans la voiture où le kamikaze a déclenché sa bombe, s’est demandé s’il était mort. “C’est le mal de tête qui m’a fait comprendre que j’étais toujours vivant, mon premier miracle“, a-t-il expliqué.

Deuxième miracle, je peux à nouveau respirer mais l’odeur de produits chimiques est infecte et je me dis qu’il faut que je sorte d’ici, car je vais mourir si je respire trop cet air“, a poursuivi l’homme, visiblement ému. “Troisième miracle, je peux bouger les pieds et, quatrième miracle, je peux ouvrir les yeux. Les mots pour décrire l’intérieur de la voiture où je me trouvais n’existent pas dans la langue française. Pour moi, c’était comme Hiroshima et Nagasaki combinés.

Cet employé de la Stib a alors confié avoir pris la décision la plus difficile de sa vie : celle de quitter la rame. “J’en souffre encore, car je me dis que j’aurais pu aider“, a affirmé celui qui a quand même soulevé une plaque de métal pour dégager une dame.

En sortant de la station de métro, ça coince un peu. Je tends une main, une autre et puis encore une autre“, a poursuivi le témoin. “Et là, il se passe un truc de fou, ça s’appelle l’humanité. Tous ces passagers jusque-là hagards vont avoir le courage de me regarder dans les yeux et de me remercier. Ils ont pris le temps de s’arrêter pour cela.”

J’ai reçu beaucoup de solidarité, mais pas des assurances“, a alors dénoncé Thibault Jonckheere. “Elles ne m’ont pas aidé à me relever. Elles se dressent en étendard de la solidarité mais leur priorité c’est de dépenser le moins possible, de minimiser ce que nous avons vécu. J’aimerais échanger ma place avec mon médecin d’assurance pour voir s’il se diagnostiquerait aussi seulement 6% d’incapacité“, a expliqué, amer, celui qui affirme toujours souffrir de violents maux de tête et de cauchemars récurrents qui l’empêchent notamment d’avoir une vie professionnelle normale.

La victime s’est ensuite exprimée à propos des accusés. “Je passais par là et je me suis pris leur haine en pleine gueule. Ils ont foutu ma vie en l’air, ils ont fait pleurer ma compagne de l’époque et mes enfants. Jamais je ne pardonnerai ceux qui ont fait pleurer mes enfants.

Thibault Jonckheere a conclu en remerciant chaleureusement les secouristes, médecins, avocats et toutes les personnes ayant joué un rôle bénéfique après les attentats. Il a également rendu un vibrant hommage aux 16 victimes décédées dans la rame de métro qu’ils partageaient.


13h19 : “Ce n’est pas en tuant des personnes innocentes qu’on en sauve d’autres“, dit une victime

En milieu de matinée, c’est d’abord Anna Panasewicz, la fille de Janina Panasewicz, qui est venue dresser le portrait de sa mère. Cette grand-mère polonaise avait 60 ans et travaillait en tant que garde d’enfants à Bruxelles. Elle “vivait pour ses enfants et petits-enfants“, s’est souvenue la témoin, âgée de 42 ans.

Après avoir perdu son travail en Pologne et alors que sa fille était encore jeune, Janina avait décidé de tout quitter pour venir travailler en Belgique, laissant sa fille au pays. Elle s’est retrouvée toute seule, sans argent, dans un endroit dont elle ne parlait pas la langue et où elle ne comprenait rien. “Elle ne se plaignait jamais de son travail“, s’est remémoré Anna, qui la rejoindra une fois adulte.

Sur chacune des photos familiales diffusées mardi devant la cour d’assises, on pouvait voir la victime, également surnommée Grazyna ou Grana, très souriante. “Elle réunissait notre famille.”

Le jour des attentats, la famille de Janina a essayé de l’appeler à plusieurs reprises, sans succès. La sexagénaire a été la dernière victime de Maelbeek à être identifiée. “Je n’ai pas revu son corps, juste un petit sac en plastique. La plus grande partie avait été détruite par l’explosion“, a raconté Anna.

Lors des funérailles de la sexagénaire, plusieurs familles où avait travaillé la victime sont venues lui rendre un dernier hommage. “Grana était notre mère à tous“, a illustré sa fille. “Je sais que mon témoignage ne rendra pas la vie à ma maman, mais c’est à ma manière que je lui rends hommage“, a-t-elle conclu.

En fin de matinée, c’est la famille de Gilles Laurent, un cinéaste et ingénieur du son, lui aussi fauché à la station, qui a été entendue. Ses trois sœurs ont présenté la victime, décédée à 46 ans.

L’homme avait une épouse et deux enfants (de 5 et 4 ans à l’époque), avec qui il vivait à Tokyo, au Japon. “Gilles était un papa comblé, aimant et responsable, un parrain accompli.

Il était revenu seul en Belgique pour monter son documentaire sur la catastrophe nucléaire de Fukushima. Après les attentats à Paris du 13 novembre 2015, il ne souhaitait en effet pas que sa famille l’accompagne en Europe. Il s’était installé chez une de ses sœurs, à Etterbeek, non loin de la station Merode.

Le jour des faits, il devait se rendre en métro dans un studio à Bruxelles afin de participer à une projection privée de son documentaire. Il n’y arrivera jamais. “Cette épreuve nous a mis sur pause pendant de longs mois“, a décrit, dans son témoignage, Sylvie Laurent, la sœur aînée (58 ans) de Gilles.

Ce dernier était le modérateur de la fratrie, qui était déjà fort unie avant son décès et dont la perte n’a fait qu’amplifier le rapprochement, a-t-elle expliqué. “C’était le sage lors de nos décisions difficiles.”

La témoin s’est ensuite adressée longuement aux accusés. “Vous avez explosé sa vie“, leur a-t-elle lancé. “La mort fait partie de la vie mais être ainsi arraché à la vie, ce n’est pas acceptable“, a-t-elle poursuivi, qualifiant les terroristes de personnes “désœuvrées” et leur violence “aveugle et barbare.

Ce n’est pas en tuant des personnes innocentes qu’on en sauve d’autres et qu’on fait grandir notre société“, a-t-elle poursuivi, toujours à l’adresse des accusés, à l’égard de qui elle dit ne pas avoir de haine. “Vous êtes tous responsables messieurs, quel que soit notre rôle. J’espère que ces événements nous permettront de bâtir une société plus apaisée où l’ignorance, l’obscurantisme et la barbarie n’auront plus leur place.”


15h55 : L’audience brièvement suspendue après un échange nerveux entre un témoin et des accusés

La présidente, Laurence Massart, a brièvement suspendu l’audience mardi après-midi après que le témoignage de Walter Benjamin, grièvement blessé à Zaventem, a provoqué un esclandre dans la salle.

Le témoignage du quinquagénaire avait commencé de manière classique, avec un récit de l’horreur vécue le jour des attentats, la perte de sa jambe et les séquelles psychiques pour lui et ses proches. Mais les choses se sont gâtées lorsque le témoin a brandi un Coran et lu un extrait d’une sourate. “Vous avez insulté le Coran“, a-t-il ensuite lancé aux accusés, ce qui n’a pas plu à Sofien Ayari et Salah Abdeslam.

Je refuse qu’on dise que j’ai insulté le Coran !”, s’est exclamé le premier. Et le deuxième de surenchérir : “On subit nous ici! On a rien fait du tout !

Vous êtes des assassins !“, leur a crié la victime, avant que la présidente ne décide de suspendre l’audience le temps que les esprits se calment. “Je peux comprendre votre souffrance mais ça ne sert à rien“, avait dit Laurence Massart à Walter Benjamin juste avant cela.

À la reprise des débats, une vingtaine de minutes plus tard, Osama Krayem n’était plus présent dans le box des accusés.

Mohamed Abrini, lui, a tenu à prendre la parole à l’issue du témoignage du quinquagénaire. “On aurait pu éviter ce genre d’incident“, a estimé “l’homme au chapeau“. “À Paris, il est aussi arrivé que des survivants traitent les accusés d’assassins mais le président de la cour les rappelait à l’ordre. Il disait ‘stop, il n’y a pas d’assassin dans le box’. Moi, je suis coupable, pas besoin d’attendre le verdict pour le dire. Mais il y a des gens ici qui n’ont rien à voir…

Je me débrouille pas trop mal jusqu’ici, monsieur Abrini“, lui a rétorqué Laurence Massart. “Il y a peut-être des fois où je ne suis pas tout à fait top, mais je fais de mon mieux“, a-t-elle ajouté, rappelant sa longue expérience à la présidence de cour d’assises.

Me Laura Pinilla, l’avocate de Mohamed Abrini, a également tenu à revenir sur les propos du témoin. Walter Benjamin s’en était pris nommément à son co-plaideur Me Stanislas Eskenazi, lui reprochant d’avoir déclaré que défendre les accusés de ce procès était “un honneur“. “On nage en plein délire, c’est la honte des avocats !”, s’était-il offusqué.

Nous avons tous deux un respect immense pour les victimes et leur histoire. Mais il ne me semble pas normal ni correct qu’un avocat se retrouve presque sur le banc des accusés pour avoir fait son boulot. Ça va trop loin. Une limite a été franchie. Nous faisons notre métier“, a commenté la pénaliste.

■ Reportage de Jean-Christophe Pesesse, Sabine Ringelheim, Charles Carpreau et Corinne De Beul

Avec Belga –  Dessin : Jonathan de Cesare