Pierre Kompany : “Quiconque se prend pour le savant de la situation est orgueilleux”

Pierre Kompany (ProGanshoren) est devenu bourgmestre en décembre 2018 et se retirera à la fin de cette année. La quasi-totalité de son mandat aura été sous le signe de la covid.

Nous sommes en janvier 2020 et la Chine se confine à cause d’un nouveau virus. Dans quel état d’esprit êtes-vous?

La perception belge de la situation permet à tout le monde de dormir tranquillement. Nous sous-estimons la foudre qui va s’abattre sur nous. On ne voit pas que les foyers s’installent dans certains pays. L’Italie est quasi abandonnée par l’Europe. Pour moi, c’est à ce moment que le ressenti change. L’inquiétude commence à monter lorsqu’on voit les premières images de l’Italie.

Quand le fédéral annonce le premier confinement, vous êtes surpris?

Je me demande ce qu’on attend. C’est un problème de santé publique. Au début, on prend des mesurettes. Je reçois tous les jours les chiffres de l’épidémie et ils sont affolants. A Ganshoren, à un moment, nous sommes passés de 2 à 6 cas positifs et donc tous les téléphones ont sonné. En même temps, je me retrouve à devoir gérer un squat. Un home abandonné, en face du commissariat, est occupé d’abord par trois personnes, puis par 30 dans l’après-midi, et enfin par 100 quelques jours plus tard. Là, c’est lourd. Je ne peux pas les expulser, je n’ai pas le contrôle. Les experts nous disent “attention au cluster”. J’ai été soulagé que cela se passe bien et qu’ils partent finalement.

Les homes sont fortement touchés par la première vague. Avez-vous le sentiment qu’ils ont été abandonnés?

Pour les homes, tout ce qui a été pris n’a été que des mesurettes. On n’a pas écouté les médecins à ce moment-là. On a vécu dans beaucoup de tâtonnements. Encore aujourd’hui, nous demandons un centre de vaccination, nous ne l’avons pas. Forest et Auderghem voulaient la même chose. La Région a fait un grand centre au Heysel qui a coûté très cher, mais est-ce que c’était nécessaire ? Nous sommes en retard sur la vaccination. Nous aurions pu faire mieux. Si la Région avait mis un centre à la Basilique de Koekelberg, tous les habitants des environs auraient été atteints. Heureusement que Catherine Moureaux a placé le centre de vaccination proche de la frontière communale. Sa formation de médecin a été un atout.

Vous trouvez qu’on n’a pas assez écouté les scientifiques?

Quiconque se prendrait pour le savant de la situation serait orgueilleux. La modestie s’impose. D’ailleurs, même les scientifiques n’arrivent pas à vaincre les complotistes. La population ne sait plus ce qu’elle doit faire. Moi, j’ai pris le temps d’écouter ceux qui ont étudié la médecine. En tant qu’inventeur, avec ma formation dans les sciences, je suis plus patient que mes collègues juristes et je sais que les connaissances progresseront encore. Cependant, maintenant, dans chaque famille, vous avez un “demi-médecin” ou un “demi-virologue” qui disserte sur les réseaux sociaux.

Lorsqu’on déconfine en juin 2020, pensez-vous que tout ceci est derrière nous?

Je me demande à quoi on joue surtout. Le fédéral laisse les gens partir en vacances et puis referme. C’est évident que nous allons reconfiner. Côté politique, on fait un effort pour ne pas traumatiser la population. Je ne peux pas dire devant les gens que cela va être grave mais je sais très bien que cela sera long et que le problème économique sera terrible. A la commune, nous tentons d’aider mais nous n’avons pas beaucoup de leviers. On a fait un geste financier mais nous ne pouvons pas le faire deux fois.

Trouvez-vous que la coordination entre les bourgmestres bruxellois a été efficace?

Rudi Vervoort a fait ce qu’il pouvait pour la coordination. Heureusement que les bourgmestres n’ont pas joué solo. Le bourgmestre a un rôle très important. On avait minimisé son rôle mais maintenant on sait qu’il peut s’adresser directement à la population. Il doit être à l’écoute des moindres problèmes comme la maltraitance intrafamiliale.

Avez-vous eu peur de prendre de mauvaises décisions?

On a toujours peur de prendre une mauvaise décision. La gestion est collégiale mais la responsabilité incombe à une personne: le bourgmestre. Il faut faire ce qui nous semble raisonnable.

Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?

Je crains que ce que les virologues disent ne deviennent la réalité, qu’on ne soit pas assez prudent actuellement. J’espère que les gens vont se faire vacciner. Demain, nous aurons la dictature de la majorité contre la minorité. La vie est en train de changer mais les complotistes sur les réseaux sociaux m’inquiètent. Quand je me suis fait vacciner, j’ai demandé à ce qu’on me prenne en photo. Certains ont commenté en disant qu’ils auraient voulu voir le produit couler dans l’aiguille. Que voulez-vous faire contre ça?

Qu’est-ce qui vous a surpris?

Cette crise a soulevé une vague de solidarité humaine notamment pour la confection de masques. Les habitants de la commune en ont fabriqués plus de 10.000. Mon fils m’a permis d’apporter une dizaine de machines neuves pour distribuer aux couturières bénévoles. On ne voit pas ça tout le temps. Ce sont des choses incroyables. Cette solidarité, nous devons la conserver.

Qu’est-ce qui vous a déçu?

Ce qui m’a déçu, c’est la délation. L’être humain ne doit pas exprimer le mal.

Qu’est-ce qui a changé chez vous?

Cette crise m’a fait évoluer dans mon appréciation des valeurs humaines. Pendant cette période, je n’ai pas vu mes petits-enfants. Et puis si j’allais chez Vincent et que je lui amenais le virus, ça risquait de pénaliser d’autres joueurs. J’aurais dû être fait docteur honoris causa également et cela a été reporté deux fois déjà. J’ai le temps de ne plus y penser. Ce qui semblait naturel a été remis en question pour nous permettre de faire le tri dans nos priorités. Nous devons tirer des leçons de cette période pour faire avancer la société.

 

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Vanessa Lhuillier

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08 juillet 2021 - 17h00
Modifié le 09 juillet 2021 - 13h33