Pénurie de profs, cours non donnés : quel impact sur les apprentissages ?

La pénurie et l’absentéisme de professeurs n’ont pas souvent été analysés en terme d’heures de cours manquées pour les élèves. C’est à ce titre que l’enquête menée par la Fapeo est intéressante et pose la question de l’impact de ce phénomène sur les apprentissages.  

La Fapeo (Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel) a en effet tenté d’objectiver non pas la pénurie en tant que telle mais le nombre de cours manqués que celle-ci, ainsi que l’absentéisme de professeurs, déjà largement documentés, génère. Pour se faire, la Fapeo a invité les parents à estimer le nombre d’heures de cours manqués entre septembre et décembre 2019, via un questionnaire en ligne. 502 personnes se sont prêtées à l’exercice. En dépit des limites méthodologiques liées à la nature de l’enquête, les résultats sont pour le  moins interpellants. Plus de 50% des sondés répondent que leur enfant manque au moins trois heures de cours par semaine. Pour 10%, c’est au moins six heures par semaine de cours manqués sur la période étudiée. “En résumé, sur un horaire de 32 périodes par semaine, cela équivaut à plus de deux semaines sur le premier quadrimestre.”

Les éléments les plus saillants indiquent d’une part que tous les réseaux sont confrontés au problème et qu’il n’y a pas de différences significatives entre réseau, mais que « pour le réseau Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE)  la situation pour les élèves est manifestement plus problématique. » : parmi les élèves à avoir au moins six heures de cours non dispensés, la majorité des répondants fréquentent une école du réseau WBE.

Toutes les écoles sont concernées

Le problème n’est pas neuf. « La pénurie a longtemps concerné les établissements défavorisés. Aujourd’hui, elle touche toutes les écoles », commente Véronique De Thier, de la Fapeo. « Il y a une objectivation de la pénurie, mais pas d’étude sur son impact sur les élèves. Personne ne peut dire ce que cela représente et engendre pour eux. On demande une objectivation du point de vue des élèves », insiste-t-elle, précisant encore que les enseignants ne sont pas en cause. « Il y a urgence à travailler sur le climat, les conditions de travail et les infrastructures de certaines écoles », ainsi que sur la réforme du décret des titres et fonction, demande déjà ancienne de directions d’écoles.

La ministre de l’Education a réagi dans un communiqué, indiquant qu’elle considérait le problème comme urgent et prioritaire.  « Je suis convaincue qu’il existe une série de mesures très concrètes qui peuvent être adoptées dans un délai rapide pour apporter des solutions sur le court terme aux difficultés de recrutement rencontrée par les PO et les directeurs d’établissement. J’ai d’ailleurs demandé à mon administration de préparer rapidement un package de mesures pour lutter contre la pénurie des enseignants. »

La difficulté de remplir le cadre ou de remplacer les absents, phénomène structurel – avec des pics à certaines saisons, comme l’hiver. Le SEGEC (l’enseignement catholique) ne dispose pas de chiffres actualisés mais une étude réalisée fin 2018 établissait qu’en moyenne deux heures de cours par semaine n’étaient pas assurées. Les difficultés de recrutement sont récurrentes : il est quasi impossible de trouver des profs remplaçant, nous indique le porte-parole du SEGEC. Et le nombre de diplômés dans les filières pédagogiques n’a cessé de diminuer. A la Ville de Bruxelles (réseau de 16 établissements primaires et secondaires) : il y a 1,5% de postes à pourvoir dans le secondaire. Résultat : 247 période (heures) de cours, sur 16.600 ne sont pas prestées. De son côté, Saint-Gilles (6 écoles, donc un école secondaire) peine à remplir le cadre faute de candidats.

Témoignage : « Non seulement les élèves n’ont pas cours, mais c’est devenu normal ! »

En attendant, sur le terrain, dans certaines écoles, plus touchées que d’autres, des parents s’impatientent. Cette maman d’élève témoigne, sous le sceau de l’anonymat. Sa fille de 15 ans est en 3e année secondaire à l’Athénée Marguerite Yourcenar (école de la Ville de Bruxelles): « Depuis septembre ma fille n’a pas cours de bio, depuis un mois, elle n’a plus cours de physique, ni d’anglais. Comment ces élèves vont-ils rattraper leur retard ? Quel avenir pour ces jeunes? », s’inquiète-t-elle. « Quand ma fille arrive en retard ou est absente, je reçois des relevés d’absence de l’école, mais il ne se passe rien quand c’est le prof qui  n’est pas là ! », dénonce-t-elle. » Elle insiste : les professeurs présents font tout leur possible. Mais certains cours sont remplacés par des séances de travail en autonomie : « des cours de néerlandais sur ordinateur, encadré par un éducateur qui ne parle pas néerlandais et n’est dès lors pas en mesure d’aider les élèves. » Le problème n’est pas nouveau. Nous l’avions évoqué dans un reportage il y a un plus d’un an. Selon cette maman, la situation s’aggrave « Non seulement on n’a pas de prof, mais c’est devenu normal ! ». Résultat : après trois années passées à Marguerite Yourcenar, « où elle a été merveilleusement accueillie à son arrivée », sa fille changera d’école l’année prochaine.

Sabine Ringelheim

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07 février 2020 - 19h28
Modifié le 07 février 2020 - 19h28