Prolongation du nucléaire : les réactions mitigées entre politiques et associations

Lundi soir, le gouvernement fédéral et Engie se sont accordés sur les principes qui présideront à la prolongation des réacteurs de Tihange 3 et Doel 4. Depuis, de nombreuses réactions se sont enchaînées concernant cette décision.

Voir aussi | Nucléaire : le gouvernement, réuni en kern, approuve l’accord de prolongation de Tihange 3 et Doel 4 (vidéo)

Un accord fraîchement accueilli par l’opposition

Un accord nucléaire a minima qui va coûter un maximum et qui n’offre que peu de perspectives”, ont dénoncé Les Engagés, dès l’annonce de l’accord.

Ils saluent toutefois dans un communiqué la décision de prolongation des centrales nucléaires, en affirmant avoir “été les premiers à réclamer cette prolongation, convaincus que l’énergie nucléaire reste indispensable dans le mix énergétique“.

Sans avoir pu lire le document intégral de l’accord et se basant sur les rares éléments divulgués, Les Engagés estiment que trois points sont particulièrement inquiétants. D’abord les montants qui sont en jeu “et qui va payer“, ensuite la possibilité d’un “trou noir” lors des hivers de 2025 à 2027 et le risque évident de blackout faute de production nucléaire et enfin “pourquoi seulement deux réacteurs uniquement pour 10 ans ?“.

Du côté de la N-VA, le principal parti d’opposition en Flandre, le député Bert Wollants a affirmé que l’accord entre le gouvernement fédéral et Engie “n’en était pas un” mais continuait à faire planer l’incertitude sur l’approvisionnement en électricité alors que la discussion sur l’aspect financier n’a pas encore eu lieu.

Il ne s’agit que de prolonger la durée de vie de deux réacteurs, peut-être à partir de 2026, et d’une participation de 50 % du gouvernement fédéral dans ces réacteurs. Cela dépend d’une étude dans les prochaines semaines sur les coûts liés au traitement des déchets nucléaires. Ce n’est que lorsque ceux-ci seront clairs que les Français signeront définitivement. L’incertitude sur notre approvisionnement énergétique va donc continuer à s’éterniser et la discussion sur les montants reste à venir“, a déclaré lundi soir le spécialiste de la N-VA pour les questions d’énergie.

Comme ça se présente aujourd’hui, les citoyens vont payer l’addition des centrales nucléaires belges pour la troisième fois de l’histoire. Engie utilise l’incertitude concernant l’approvisionnement en énergie comme moyen de chantage pour renvoyer la facture des déchets nucléaires – qui se compte en milliards – vers les contribuables. Plutôt que de faire face, le gouvernement semble s’agenouiller devant Engie“, a réagi le député PTB Peter Mertens.

Les citoyens ont déjà payé deux fois pour les centrales nucléaires belges. Une première fois pour l’amortissement des centrales dans les années 1970-1980-1990. Une deuxième fois pour les super-profits d’hier (15 milliards depuis 1999) et les surprofits d’aujourd’hui (9 milliards pendant cette crise). Et avec ce nouvel accord, les citoyens devraient payer une troisième fois. Cette fois-ci, pour éponger la facture des déchets nucléaires et le coût de la prolongation.”

Les présidents du CD&V et de l’Open Vld affichent leur satisfaction

Tant le président du CD&V, Sammy Mahdi, que son homologue de l’Open Vld, Egbert Lachaert, se sont déclarés lundi soir satisfaits de l’accord trouvé entre le gouvernement fédéral et Engie.

C’est nécessaire pour préserver la sécurité d’approvisionnement de notre pays et pour nous rendre moins dépendants des régimes étrangers en ce qui concerne l’énergie, affirmé M. Mahdi.

La prolongation des deux derniers réacteurs était d’une importance capitale pour notre parti. Je me rends compte que bloquer une sortie complète du nucléaire n’avait pas été bien accueilli par tout le monde à la table du gouvernement en décembre 2021. Mais en tant que parti, nous avons continué à plaider en faveur d’une prolongation parce que c’était nécessaire pour la sécurité d’approvisionnement de notre pays“, a-t-il ajouté.

Son homologue de l’Open Vld s’est également dit satisfait de l’accord annoncé par le Premier ministre Alexander De Croo.

Il est nécessaire pour que les centrales nucléaires soient disponibles d’ici l’hiver 2026-2027, a fait valoir Egbert Lachaert sur le plateau de l’émission Terzake de la chaîne publique flamande VRT.

Le président des libéraux flamands a également souligné qu’avec cet accord, le gouvernement belge reprenait le contrôle de la production d’électricité.

Les organisations environnementales dénoncent “un accord nucléaire qui n’en est pas un”

La préparation du renouvellement de deux centrales nucléaires va pouvoir débuter dès ce mardi. “Mais en pratique, on n’en sait pas beaucoup plus. Surtout, la facture à plusieurs milliards nécessaire pour la gestion des déchets risque toujours de passer d’Engie vers le citoyen (…) Autre incertitude non levée aujourd’hui: Engie ne donne aucune garantie sur la production d’électricité, alors que d’autres sont tenus de le faire en vertu du CRM“, affirment les organisations environnementales Greenpeace, Bond Beter Leefmilieu et Canopea. 

Tant qu’il n’y a pas d’accord sur la question ‘centrale’, à savoir la facture pour le démantèlement et la gestion des déchets, il n’y a d’accord sur rien“, rappelle Jan Vande Putte, expert énergie chez Greenpeace Belgique. “Le point central des négociations porte clairement sur le plafonnement de la facture des déchets qu’Engie réclame. La gestion des déchets nucléaires sera le chantier du siècle prochain et on n’en sait toujours pas plus, ni sur le prix, ni sur la manière pratique dont ces déchets ingérables seront gérés“.

Seule certitude, cette prolongation risque d’imposer aux générations futures une facture sans précédent“, estiment les organisations. “En pratique, il n’existe pas encore de solution industrielle crédible pour la gestion de ces déchets à long terme. On ne sait pas à ce stade dans quelle roche ou à quelle profondeur notamment“.

Ce pourrait aussi être un mauvais accord pour le climat“, affirme Arnaud Collignon de Canopea. “Nous gaspillons de l’argent et du temps dans des rafistolages nucléaires alors que la priorité tant pour la transition énergétique que pour les factures des ménages sont ailleurs : efficacité énergétique, extension du réseau, énergies renouvelables et isolation des logements les plus énergivores.”

Dégaze dénonce “un gigantesque cadeau” à Engie-Electrabel

Le mouvement citoyen Dégaze réagit “avec consternation” à l’accord nucléaire : “Au nom de toutes les familles et de tous les contribuables belges, le gouvernement fédéral décide de faire un énorme cadeau de début d’année à Engie-Electrabel“.

Les factures d’énergie astronomiques des uns font les surprofits énormes des autres, nous ne l’avons déjà que trop constaté pendant l’année écoulée“, s’insurge le porte-parole de Dégaze, Léo Tubbax. “En 2023, Engie continuera sans relâche sur cette voie. Engie vend son énergie nucléaire pour l’année prochaine à un prix hallucinant, dix fois le coût de production.”

Le gouvernement opte à la fois pour les anciens réacteurs nucléaires et les nouvelles centrales à gaz fossile. Résultat : un trou dans les caisses de l’État, des prix de l’énergie impayables pour une dizaine d’années supplémentaires, et des bénéfices usuraires qui disparaissent dans les poches des actionnaires d’Engie et C°.

Au milieu de la crise énergétique et climatique actuelle, cette politique est une gifle dans la figure non seulement pour tous celles et ceux d’entre nous qui en paient déjà le prix fort, mais aussi pour chacune et chacun d’entre nous qui ose rêver et s’engager pour un système énergétique 100% renouvelable, socialement juste et géré comme un bien commun“, conclut Dégaze.

■ Les explications d’Anaïs Corbin dans Le 12h30.

Avec Belga – Photo : Belga/Nicolas Maeterlinck

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10 janvier 2023 - 11h00
Modifié le 10 janvier 2023 - 12h49