Manifestation nationale : dix-sept personnes arrêtées durant la manifestation, selon un bilan de la police

Les participants entendaient protester notamment contre la limitation dans le temps des allocations de chômage, le sort de l’enveloppe bien-être, la réforme des pensions, en particulier celles des fonctionnaires, ou encore des coupes dans les services publics.

■ Reportage de Romain Vandenheuvel, Charles Carpreau et Pierre Delmée 

Entre 60.000 (selon la police) et 100.000 manifestants (selon les syndicats), ont défilé dans les rues de Bruxelles contre les mesures prévues par le nouveau gouvernement fédéral. Après que la majeure partie des participants a réussi à s’extirper de la gare du Nord, saturée de bleu, rouge et vert dès le petit matin, quelques discours ont été scandés sur une scène installée au point de départ, boulevard Roi Albert II. La procession s’est ensuite élancée, au son des pétards, des sifflets et de la musique, vers la gare du Midi, son point d’arrivée, aux alentours de 10h30. Dans le cortège se trouvaient notamment plusieurs organisations de la société civile, comme Unia, Greenpeace, Amnesty, le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté ou encore les mutuelles. Mais aussi des personnalités politiques telles que le président du PS Paul Magnette, l’ancienne ministre de la Défense, Ludivine Dedonder, et les co-présidents d’Ecolo, Samuel Cogolati et Marie Lecocq.

Vanessa Matz a rencontré les syndicats de la fonction publique

La ministre de l’Action et de la Modernisation publiques en charge de la Fonction publique, Vanessa Matz, a rencontré jeudi après-midi les trois syndicats CSC-ACV, CGSP-ACOD, SLFP-VSOA, annonce-t-elle dans un communiqué.

Cette rencontre s’est tenue à l’issue de la manifestation en front commun qui a rassemblé 60.000 personnes selon la police et 100.000 personnes selon les syndicats. L’objectif était “d’aborder les différentes réformes relatives à la fonction publique contenues dans l’accord du gouvernement, en autres, la contractualisation”, indique la ministre.

La rencontre a été qualifiée de “constructive”. “La ministre a rappelé toute l’importance du dialogue social. La ministre et les organisations syndicales ont convenu de se revoir régulièrement et de mettre en place des groupes de travail”, conclut le communiqué

Dix-sept personnes arrêtées durant la manifestation, selon un bilan de la police

La police a arrêté 17 personnes lors de la manifestation nationale de jeudi à Bruxelles, a annoncé en fin d’après-midi la zone de police Bruxelles-Capitale/Ixelles. Des procès-verbaux seront établis à leur encontre.

Face au succès de foule et aux 60.000 manifestants réunis (qui étaient 100.000 selon les syndicats, NDLR,) la police a déployé des effectifs supplémentaires afin d’assurer la sécurité et de réguler la circulation, a-t-elle expliqué. 

Au cours de la manifestation, un petit groupe de protestataires s’est écarté du parcours prévu et s’est dirigé vers le siège des Engagés, l’un des partis au pouvoir au sein de la coalition fédérale Arizona. Les forces de l’ordre y ont été prises pour cible par divers projectiles, notamment de lourdes plaques d’égout en métal, des barrières de circulation en plastique, des boulons métalliques et des extincteurs. La police a dès lors dû faire usage de gaz lacrymogène pour repousser les manifestants vers l’itinéraire initial et empêcher toute escalade. Un peu plus tard, la situation a également dégénéré aux abords du siège du MR, situé le long du parcours de la manifestation.

Des “manifestants” ont à nouveau lancé des projectiles en direction du bâtiment ainsi que des policiers présents sur place. Face à ces violences, les forces de l’ordre ont dû recourir à des moyens spécifiques afin de prévenir de nouveaux dégâts et de garantir la sécurité des agents et des passants, justifie la zone de police de Bruxelles-Capitale-Ixelles. Elle a ainsi utilisé des gaz lacrymogènes mais aussi une autopompe pour disperser les activistes rassemblés devant le siège du parti libéral.

La police a indiqué déplorer “ces actes de violence, qui n’ont pas leur place dans une manifestation pacifique et constituent une menace grave pour l’ordre public”. On ne sait pas si des personnes ont été blessées lors de ces affrontements. La police est toujours en train d’évaluer les dégâts. De nombreux graffitis ont été réalisés un peu partout le long du parcours de la manifestation, que ce soit sur des bâtiments, du mobilier urbain ou des panneaux de signalisation.

Reportage de Bryan Mommart, Frédéric De Heneau et Laurence Paciarelli | Rencontre avec différents secteurs inquiets des mesures du gouvernement Arizona

De nombreuses professions, cheminots, métallos, policiers, enseignants, gardiens de prison, pompiers, fonctionnaires, etc. étaient également représentées, ainsi que des groupes antifascistes. Fait rare, de nombreux militaires revêtant la chasuble blanche de leur principal syndicat, l’ACMP-CPGM, étaient présents, bien que le nouveau ministre de la Défense, Théo Francken, ait annulé la permission de manifester qui leur avait été accordée par sa prédécesseure. “Faire travailler les militaires jusque 67 ans à la place de 56 ans, c’est une décision qui est inacceptable”, a dénoncé Philippe Sion, délégué permanent de l’ACMP-CPGM. À ses yeux, cette décision va également “créer des problèmes d’insécurité”, avec un personnel militaire vieillissant mais aussi un manque d’attrait pour la profession. “La dernière grosse manifestation des militaires, c’était en 2016 parce que le gouvernement à l’époque parlait de faire travailler les militaires jusqu’à 62 ans. (…) Ici on parle de 67 ans, c’est encore pire !”, a-t-il encore rappelé.

Deux points de passage du cortège étaient particulièrement surveillés par les forces de l’ordre : le siège des Engagés et celui du MR, deux partis membres de la nouvelle coalition fédérale. Si le premier n’a été que brièvement la cible de lancer de boules de peinture, pommes, citrons, pavés ou bouteilles en verre, le second a cristallisé un peu plus les tensions. Protégé par plus de 60 policiers en tenue anti-émeute, le siège du MR a aussi été la cible de divers projectiles. Une autopompe a été déployée et les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes pour faire reculer les centaines de manifestants qui s’étaient arrêtés devant le bâtiment situé avenue de la Toison d’Or. La tension est néanmoins assez rapidement retombée, bien que la police a dû se déployer et procéder à quelques interpellations, parfois musclées, pour disperser les derniers protestataires. Un hélicoptère surveillait également les événements depuis le ciel.

La vaste majorité des participants à la manifestation a toutefois continué son chemin vers la gare du Midi où elle a commencé à s’éparpiller vers 12H00. La queue de peloton, composée notamment des personnes qui s’étaient arrêtées devant le siège du MR se trouvaient toujours près de la gare vers 15h00 et ont rapidement été dispersées. “C’est une mobilisation historique”, a salué le président de la FGTB, Thierry Bodson. Ce dernier a considéré que “c’est surtout l’aspect des fins de carrière qui est tout à fait inacceptable. Les gens commencent à comprendre qu’il n’y a plus aucune possibilité dans ce pays d’arrêter de travailler avant 67 ans”. Pour lui le gouvernement doit “se rendre compte” qu’il doit changer de fusil d’épaules pour “tout ce qui concerne les aspects de flexibilité et de fin de carrière”. M. Bodson a aussi appelé à une “véritable concertation”. Son de cloche similaire du côté de la CSC. “La mobilisation est importante, nous le savions et le sentions parce que l’inquiétude et la colère sont vraiment importantes dans le monde du travail”, a souligné la secrétaire générale du syndicat chrétien, Marie-Hélène Ska. “Cette inquiétude doit être prise en compte et ne peut être balayée d’un revers de la main.”

Celle-ci a cependant apprécié le signal positif “donné par le Premier ministre” Bart De Wever, en invitant mercredi les partenaires sociaux à discuter. La manifestation a engendré des perturbations dans de nombreux secteurs. La distribution du courrier et la collecte des déchets ont, entre-autres, été perturbées. Certaines prisons ont été contraintes de demander un renfort policier pour assurer les services essentiels.

► Reportage de Jamila Saïdi M’Rabet, Nicolas Scheenaerts et Laurence Paciarelli | Manifestation nationale : le point sur les perturbations

Les transports en commun, a l’exception notable du rail, ont aussi été impactés : les réseaux de la Stib, des Tec et de De Lijn étaient fortement perturbés, tandis qu’aucun avion ne peut atterrir dans aucun des aéroports belge jusqu’à 22h15 en raison de la grève des contrôleurs aériens. La contestation sociale ne s’arrêtera pas avec l’action de jeudi. Une grève générale a déjà été annoncée par la FGTB et la CSC en date du lundi 31 mars.

De Wever défend à la Chambre la nécessité des réformes contestées dans la rue

Le Premier ministre, Bart De Wever, et le ministre de l’Emploi, David Clarinval, ont défendu jeudi devant la Chambre la nécessité des réformes que va entreprendre le nouveau gouvernement. Alors que dans la matinée plusieurs dizaines de milliers de personnes défilaient dans les rues de Bruxelles pour contester les mesures annoncées, le chef du gouvernement a lancé un appel au sens des responsabilités à l’ensemble de la société afin de ne pas “s’enliser dans un modèle conflictuel”.

Le Premier ministre a insisté sur les “choix courageux” qui devaient être faits, rappelé le déficit budgétaire de la Belgique et affirmé que son gouvernement tendait “clairement la main aux partenaires sociaux” même s’il ne se faisait pas d’illusions: certaines “organisations” contesteront les réformes. “Assurons-nous ensemble que notre État providence reste solide et durable pour que les générations futures puissent aussi en profiter”, a conclu M. De Wever interrogé par de nombreux députés.

Selon le Premier ministre, malgré sa précision, l’accord de gouvernement laisse de nombreuses modalités à discuter. “Ce sont des réformes graduelles, il y a des mesures et des enveloppes de transition qui sont prévues. Nous sommes ouverts à la concertation sociale et on va organiser des pourparlers avec les syndicats pour voir s’il y a des cas de figure où on a exagéré, où les changements sont trop brusques. Dans les grands chapitres -emploi, fiscalité, pensions-, il y a encore des centaines de modalités à régler et là-dessus, je suis très ouvert. Si vous me montrez des cas où des personnes sont touchées par cinq mesures et que c’est trop lourd, on est ouvert à la discussion”, a-t-il expliqué, interrogé en marge de la séance plénière

Le MR a reçu le portefeuille de l’Emploi dans le nouveau gouvernement, une première depuis un siècle pour les libéraux. Mercredi, quelques jours après le vote de la confiance à la Chambre, les partenaires sociaux ont été reçus. “La concertation sociale est un pilier de notre démocratie sociale” a assuré M. Clarinval (MR) qui a mis lui aussi en avant la “responsabilité partagée” dans la mise en œuvre des réformes.

Pour l’Union des classes moyennes, qui représente les petites et moyennes entreprises l’attitude des syndicats est irresponsable. Et avec la grève générale qui s’annonce le 31 mars prochain, l’UCM s’inquiète de cette mise à l’arrêt de l’économie et plaide pour le dialogue.

■ Julie Lambotte interrogée par Thomas Dufrane:

Le succès de la manifestation a dopé les partis de gauche. “Je n’ai jamais vu autant de monde en colère dans les rues. Comment ne pas les comprendre quand on voit les attaques colossales de votre gouvernement contre celles et ceux qui font tourner ce pays?” a affirmé Sophie Thémont (PS). Le PTB envisage déjà la suite. Selon les communistes, le gouvernement “a les chocottes”. “Je le dis aux travailleurs: les lois ne sont pas encore votées, rien n’est joué, on va les faire reculer”, a averti Raoul Hedebouw. Fait rare: deux présidents de parti de la majorité sont intervenus, Georges-Louis Bouchez (MR) et Sammy Mahdi (CD&V).

Le libéral a visé ses anciens partenaires de majorité écologistes et socialistes dont le bilan en termes de réforme se résume, selon lui, à une feuille blanche. “C’est votre bilan à tous et c’est pour cela qu’on est obligé de faire des réformes aujourd’hui, car la sécurité sociale sera sauvée par le travail, pas par la grève”, a-t-il lancé. Une déclaration qui a fait s’étrangler Sarah Schlitz (Ecolo). “Dans le gouvernement précédent, vous avez passé votre temps à bloquer les réformes, et vous êtes au pouvoir sans discontinuer depuis 25 ans”, a-t-elle accusé.

Avec Belga