Les leçons de Filigranes, l’édito de Fabrice Grosfilley
Ce lundi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito la relation employeur / employé.
Un patron de libraire contraint de faire un pas de côté. C’est ce qui s’est finalement passé ce week-end à la libraire filigranes. Il aura fallu une avalanche d’articles de presse pour que le gérant emblématique du lieu consente à prendre de recul.
Filigranes à Bruxelles, tout le monde connaît. La libraire située avenue des arts est l’une des librairies emblématiques de Bruxelles. Depuis sa création, il y a 33 ans, elle n’a cessé de s’agrandir. Avec plus de 180 000 références en rayon, du guide de voyage à la bande dessinée, en passant par la littérature, les livres pour enfants, la philosophie, etc. Un chiffre d’affaires de 15 millions par an qui en fait l’une des 5 plus grosses librairies d’Europe. Et finalement, pour faire tourner la machine, une centaine de collaborateurs, qui visiblement, n’apprécient pas tous, leur ambiance de travail.
Alors il y a probablement autant de raison d’aimer que de détester Filigrane. On peut l’aimer pour sa facilité d’accès, son ouverture 7 jours sur 7, 365 jours par an, la qualité du service et du conseil, la diversité des rayons, l’étendue du choix, la possibilité d’y entendre des auteurs venus parler de leur œuvre. On peut apprécier pouvoir y prendre un croisant ou une tasse de thé, voir acheter un CD ou une bouteille de vin. Et puis on peut détester cet endroit pour les mêmes raisons, parce que c’est devenu trop grand, un peu impersonnel, avec tellement d’à côté que ça finit par ressembler à un grand magasin plus qu’à une librairie.
Le propre du commerce, c’est que justement on est libre d’aller ou pas dans cette librairie-là. C’est le principe de l’offre et de la demande, la loi du marché qui a permis à Filigranes de trouver son public et d’être rentable. À côté de la loi du marché, qui appartient à une logique économique non écrite, il y a d’autres lois, clairement codifiées cette fois, qui encadrent l’activité commerciale et les relations entre les employeurs et leurs employés. C’est au nom de cette législation sociale que près de la moitié des employés de Filigranes ont demandé l’intervention d’un conseiller en prévention pour une assistance psychosociale.
Cette demande, c’est donc BX1 qui l’a révélé dès vendredi. Avec des témoignages, des détails, qui ne laissaient aucun doute sur le climat malsain qui régnait dans les rayons de la libraire. La première réaction de Filigrane a été plutôt déroutante. Une sorte de minimisation de la situation et des contre-attaques qui remettaient en cause l’article de BX1, qui n’auraient été qu’approximation juridique et basse vengeance d’anciens salariés revanchards. Après BX1, il y a eu le Soir, la RTBF, la Libre Belgique, etc. Finalement, le patron de Filigrane a présenté ses excuses, annoncé l’embauche d’un nouveau directeur et son intention de suivre un traitement.
Il y a quelques leçons à retenir de cet épisode. La première, c’est que la presse est bien dans son rôle de contre-pouvoir quand elle dénonce des dysfonctionnements dans une entreprise. Et qu’il n’y a pas de secteur, pas de structures où la presse n’aurait pas le droit d’enquêter. Et vouloir contre-attaquer en ciblant la presse est rarement une réaction à la hauteur des enjeux. Nier le problème, le minimiser, permet rarement de se sortir d’une mauvaise passe. La seconde, c’est que nous sommes en 2022. Et que la mentalité du contremaître qui pouvait avoir droit de vie ou de mort sur ses collaborateurs n’est plus acceptable. Un employé, ce n’est pas un paysan du Moyen Âge à qui on impose des corvées sans justification. Ce n’est pas non plus un ouvrier du 19e siècle qui travaillait 12 heures par jour, 6 jours de la semaine, sans protection sociale ni droit aux congés, avec un salaire qui se limite à couvrir ses besoins primaires. Nous sommes en 2022, les employés ont des droits. Et l’un de ces premiers droits est celui de la considération. C’est vrai dans une librairie et ça l’est aussi dans beaucoup d’autres entreprises. Ce qui vient de se passer à Filigranes, devrait probablement faire réfléchir plus d’un directeur.
■ Un édito de Fabrice Grosfilley