Les finances communales dans le rouge pour 2022
Les 19 communes bruxelloises sont en pleine confection de leur budget pour 2022. Cette année, l’exercice est particulièrement difficile et quasi aucune ne pourra rendre son travail avant la fin de l’année. Certaines pensent même remettre un budget en déficit.
Ce n’est un secret pour personne, la crise sanitaire s’accompagne d’une crise financière. Depuis deux ans maintenant, les communes font face à une augmentation importante de leurs dépenses que cela soit pour des produits directement liés au covid (masques, gel hydroalcoolique, purificateurs d’air…), des aides qu’elles ont distribué à leurs commerçants, restaurateurs ou encore une hausse des aides pour les usagers du CPAS mais également à une réduction de leurs recettes. Pour aider les restaurateurs par exemple, ces derniers ne paient plus de taxe sur les terrasses. Idem pour les hôteliers. Et puis, les citoyens qui se sont retrouvés au chômage temporaire ou qui ont perdu leur emploi payeront aussi moins d’impôt sur les personnes physiques (IPP).
“Nous avons des dépenses qui augmentent et des recettes qui diminuent, commente Michel De Herde (DéFi), échevin du Budget de Schaerbeek. Cela nous entraîne vers de grandes difficultés et vraisemblablement vers un budget en déficit pour l’an prochain.”
Ce constat est posé quasi dans toutes les communes de la Région. A la Ville de Bruxelles, le budget ne sera pas rendu avant janvier, voire février et il risque très fortement d’être en déficit. A Anderlecht, on étudie la situation et on n’ose pas annoncer de date. A Evere, idem. La dotation au CPAS augmente de 4% alors on réduira les investissements.
A Etterbeek, on espère pouvoir le faire voter avant le 31 janvier 2022 comme la loi l’exige, mais les difficultés sont grandes. “Quand j’ai pris la tête de la commune voici 30 ans, elle était en faillite, se souvient le bourgmestre Vincent De Wolf (MR). Depuis 10 ans, nous dégageons un boni, mais cette fois, nous aurons un mali.” Comme ses confrères, Vincent De Wolf explique cela par une augmentation des charges liées au covid, une hausse des dépenses au CPAS et une revalorisation barémique des agents communaux.
Une lourde revalorisation des salaires
En effet, la Région via le ministre en charge des Pouvoirs locaux, Bernard Clerfayt (DéFi) négocie depuis des semaines une revalorisation des salaires des agents communaux.
►Les travailleurs des 19 communes bruxelloises verront leur salaire augmenter avant la fin l’année
La Région doit prendre 75% de cette somme à sa charge et les communes 25% selon une clé de répartition basée sur le nombre d’équivalents temps pleins des communes et la dotation générale aux communes. Seulement, lorsque les communes font les comptes, elles se rendent compte que certaines vont devoir débourser bien plus. Ainsi à Berchem, le bourgmestre Christian Lamouline estime à 40% la charge réelle. “Berchem est désavantagée depuis des années dans le calcul de la dotation générale aux communes. Nous estimons perdre entre 6 et 7 millions d’euros par an. Comme la Région prend la DGC dans son calcul pour les revalorisations barémiques, nous sommes aussi perdants.” Berchem est cependant la seule commune dont le budget a déjà été voté. La recette? Un prêt qui ne devra pas être remboursé de la part de la Région d’un montant de 3,2 millions d’euros ainsi que des économies en matière de frais de personnel.
A Saint-Josse, on estime devoir payer 60% de la revalorisation. A Woluwe-Saint-Lambert, Olivier Maingain (DéFi), est allé devant le conseil d’Etat. Il estime que sa commune devra payer 1,4 million d’euros supplémentaire d’ici 2024. “La Région a toujours aidé les communes dans les revalorisations.” Sur le fond, Olivier Maingain reconnaît qu’il fallait une revalorisation pour que les salaires ne soient pas trop peu attractifs par rapport aux autres communes de Wallonie et de Flandre mais aussi par rapport à la Région bruxelloise. Par contre, il faudrait que la Région refinance les communes. “Je ne sais pas quand je pourrais remettre mon budget. Il existe encore trop d’inconnue pour avoir des prévisions vérité. Qu’allons-nous faire si le salaire des policiers est également revalorisé? On nous dit que notre IPP devrait augmenter, mais je ne vois pas comment cela serait possible vu le nombre de personnes qui ont eu des pertes de revenus en 2020. J’ai déjà puisé deux fois dans les réserves. Je ne veux pas les mettre à plat.”
Son collègue de Woluwe-St-Pierre, Benoît Cerexhe (cdH), le rejoint également dans cette action en justice. “C’est la première fois que la DGC rentre dans les calculs et forcément cela n’est pas en faveur contrairement à Schaerbeek. Je vais étudier la possibilité d’aller plus loin car nous sommes au-delà des 40% d’intervention communale. Nous allons présenter début janvier notre budget aux conseillers communaux, mais il a été très compliqué à établir. Notre dotation au CPAS augmente de 2,5 millions d’euros et nous ne voulions pas toucher à la fiscalité.” Benoît Cerexhe joue sur les frais de personnel en n’effectuant plus aucun remplacement lors d’un départ à la retraite ou d’un congé maladie.
Pour Emir Kir, bourgmestre indépendant de Saint-Josse, il faut aussi être prudent. “Certaines dépenses devraient être prises en charge par le fédéral notamment concernant la zone de police. On nous demande une revalorisation à laquelle s’ajoute une indexation et une inflation. En plus, nous avons des frais de chauffage et de gazole qui explosent. Et c’est notre troisième année covid sur le plan budgétaire. Pour les recettes, nous ne retrouverons pas le niveau de 2019 avant plusieurs années. C’est une grave crise financière pour les pouvoirs publics.”
Ne pas répercuter les difficultés sur la fiscalité
Partout, on tente de faire des économies, mais sans toucher ni aux services rendus à la population ni à la taxation. “On pouvait encore faire des économies, mais bientôt, on ne pourra plus”, commente Christian Lamouline. “Notre PRI et notre IPP sont stables, mais nos dépenses augmentent, ajoute Georges Van Leeckwyck (MR), échevin du Budget de Molenbeek. Seulement nos dépenses de CPAS augmentent. Nous souhaitons conserver la même fiscalité, mais cela va être très difficile d’atteindre l’équilibre. On aura un probable déficit.”
De déficit, il en sera question aussi à Ixelles. Le nouvel échevin des Finances, Romain De Reusme (PS) n’ose pas se prononcer, mais semble peu optimiste. Il travaillera en tout cas en 12e provisoire et espère déposer son budget pour février.
A Schaerbeek, Michel De Herde n’espère ne pas jouer sur la fiscalité, mais il ne l’exclut pas pour les années à venir. En effet, à mi-législature, les communes doivent aussi rendre leur plan triennal. Certaines jouent donc sur un déficit pour 2022, mais un retour à l’équilibre pour 2024. “Nous avons une hausse des dépenses du CPAS. Nous sommes passés de 7.000 à 7.500 dossiers en deux ans soit 11.000 bénéficiaires, explique l’échevin schaerbeekois. Pour la zone de police, on doit ajouter 1,5 million d’euros. Et pour les agents communaux, en 2023, ce sont 2,8 millions d’euros en plus à charge de la commune, alors à ce stade, je n’exclus plus de jouer sur une hausse ciblée de la fiscalité.”
A Watermael-Boitsfort, Olivier Deleuze (Ecolo) se refuse à augmenter les impôts même si “c’est la première fois depuis 2013 que nous rencontrons de réels gros problèmes. Le budget du CPAS passe de 7 à 8,5 millions d’euros. Nous avons moins de recettes. Nous allons jouer sur les dépenses, mais cela devient très juste. Nous devons distinguer les dépenses qui augmentent de manière structurelle comme la revalorisation des barèmes pour les agents communaux et celles qui sont conjoncturelles notamment au CPAS à cause du covid. Heureusement, nous avons des réserves, mais nous allons devoir plonger dedans.” Le budget boitsfortois devrait être présenté en février.
Un avenir sombre
Même dans des communes plus favorisées comme Berchem ou les deux Woluwe, on craint pour le futur. A Uccle, le budget qui sera présenté en janvier, sera à l’équilibre pour 2022 mais les engagements futurs ont été phasés pour ne pas plomber les dépenses. “Cette année, la dotation pour le CPAS augmente de 10% et nous n’avons pas pris en compte une éventuelle revalorisation du salaire des agents de police, explique l’échevine des Finances, Valentine Delwart (MR). Après 2024, les communes devront aussi supporter seules la revalorisation barémique des agents communaux. Les enjeux sont donc importants.”
Pour la première fois, à Auderghem, le budget sera tout juste à l’équilibre cette année. “Pour 2023, cela m’étonnerait qu’on ne soit pas en déficit, confie le bourgmestre Didier Gosuin (DéFi). Cela sera la première fois depuis 45 ans. On en demande toujours plus aux communes. Cependant, on ne peut pas tout payer tout le temps.”
Vanessa Lhuillier – Photo: Belga