L’éditorial de Fabrice Grosfilley : un monde qui bascule
C’est un sentiment relativement désagréable, celui que tout nous échappe. Que la marche du monde à laquelle on s’était plus ou moins habitué, est progressivement en train de se dérégler. Que les grands équilibres, qu’on approuvait pas forcément, mais dont on s’accommodait, sont en train d’être remis en question. Et surtout que ce monde de paix et de prospérité relatives qui était le nôtre dérive vers une série d’affrontement de plus en plus violents et de plus en plus proches.
Paix relative, parce que nous sommes des privilégiés au sein de l’Union Européenne. La construction d’un espace politique et économique commun nous a permis de vivre dans une sorte de “cocon”. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale nous n’avons plus eu à redouter de guerre entre nations voisines. Ce n’est pas le cas du reste du monde. La décolonisation, les guerres d’ indépendance, l’affrontement est-ouest par puissances régionales interposées, les mouvement sécessionnistes, les territoires contestés, les conflits religieux, les guerres ethniques, les coups d’États ont secoué de nombreuses régions de la planète. C’était à distance. Cela ne pouvait pas nous arriver. Puis la guerre s’est rapprochée. D’abord dans les Balkans, premier coup de semonce, elle est maintenant en Ukraine aux portes de l’Europe. Et on voit bien que sur ces frontières de la grande Europe, dans la Baltique, en Arménie, en Turquie, en méditerrannée, le monde est instable et potentiellement violent.
Prospérité relative aussi, parce que nous faisons partie des nantis de cette planète. Même un ménage belge modeste possède bien plus que les 3/4 du reste de l’humanité. Une aisance matérielle, un niveau dé sécurité bien plus élevé qu’on ne le pense, l’accès à l’eau, à la nourriture, aux loisirs, aux transports, aux soins de santé. Cela nous semble une évidence, cela ne l’est pas pour tout le monde. Notre prospérité n’est (n’était ? ) pas universelle, c’est le moins que l’on puisse dire.
Ces deux dernières semaines nous voyons le brasier du proche-orient se rallumer, avec la crainte que cet incendie là, qui couvait depuis longtemps ne soit désormais hors de contrôle, et que les flammes ne s’étendent à toute une région du monde. La violence, les bombardements, les exactions. Le refus de partager une terre qui n’est en réalité la propriété de personne, puisque nous n’en sommes que les temporaires locataires. Locataires, c’est aussi ce que nous devons avoir à l’esprit lorsqu’on parle du réchauffement climatique. Les 1,5 degrés de réchauffement définis comma la limite à ne pas dépasser lors des accords de Paris sont quasiment atteint. Et on ne voit pas encore vraiment arriver le virage à 180 degrés qui permettrait de stopper la tendance au réchauffement à défaut de l’inverser.
Déséquilibre supplémentaire, la montée de violence qui nous frappe désormais au cœur de nos villes, à Bruxelles notamment. Les attentats. Les tensions. La montée de l’intolérance. Le problème n’est pas neuf, il est loin d’être résolu. Ajoutons le trafic de drogue toujours plus présent et le recul de l’État. La place prise par les réseaux criminels et notre incapacité à les faire reculer ces derniers mois fragilisent nos démocraties sans doute plus qu’on ne le pense. En toile de fond une précarité grandissante, des Bruxellois toujours plus nombreux à se tourner vers les services sociaux. Un enfant sur trois qui vit dans une famille sous le seuil de pauvreté. La prospérité est donc bien relative, à l’échelle du monde, comme à l’échelle de la ville, avec le risque d’un schisme entre ceux qui possèdent le confort et se protègent de peur de le perdre, et ceux qui n’ont rien, et qui au final n’ont surtout rien à perdre. Notre monde change, il bascule. Il faut être aveugle ou particulièrement égocentré pour ne pas le constater. Nous voyons les équilibres d’hier s’écrouler les uns après les autres. De ce déséquilibre peut surgir un monde meilleur ou l’avènement du pire. Le pire serait de ne rien faire et de refuser de voir que ce monde bouge. Nous ne sommes plus à l’abri. Et si nous voulons le rester , il va falloir y travailler.