L’éditorial de Fabrice Grosfilley : un mois de guerre totale

Cela fait donc déjà un mois. Un mois que le Hamas lançait une opération surprise contre Israël. Une opération terroriste sidérante par son ampleur et son effet de surprise. Jamais nous n’avions imaginé que le Hamas soit capable de pénétrer aussi loin et aussi longtemps à l’intérieur du territoire israélien. Jamais nous n’avions imaginé non plus que la violence puisse être aussi gratuite, notamment contre des civils et le bilan aussi lourd. 1400 morts, dont 1033 civils (chiffre officiel du gouvernement israélien), et des personnes enlevées pour servir d’otages, dont le nombre est estimé à 240. Et surtout la froide détermination des agresseurs qui liquident des familles entières (dont une trentaine d’enfants, y compris des nourrissons, mais aussi des vieillards), qui mettent le feu aux maisons, commettent des atrocités et qui, à l’évidence, sont venus pour “faire du chiffre” et marquer l’opinion.

Très rapidement la riposte d’Israël se met en place, nom de l’opération : “épée de fer”.  Blocus total de la bande de Gaza. Injonction aux Gazaouis de quitter le nord du territoire pour se réfugier dans la partie sud et déluge de bombes destinées à préparer une offensive terrestre. Il s’agit “d’exterminer le Hamas” annonce le gouvernement israélien. Le terme exterminer dit bien la détermination israélienne, qui se place ici dans la position de l’agressé qui souhaite obtenir réparation. La difficulté, on le sait bien, c’est que le Hamas est profondément enraciné dans la société palestinienne, en particulier à Gaza, et que faire la distinction entre le Hamas et la population civile n’est pas aisé. Le désespoir et la colère sont tels depuis si longtemps, que le Hamas, que nous voyons depuis l’Europe comme un mouvement islamiste et terroriste particulièrement condamnable, bénéficie, vue de Gaza, de la sympathie de très nombreux Palestiniens. À tel point que si on ne s’enrôle pas au Hamas, on en est,  plus au moins, un compagnon de route.

Combien de victimes coté palestinien ? C’est impossible à dire avec précision. Le ministère de la Santé du Hamas évoque 10 000 morts en un mois de bombardement. Parmi eux, 4800 mineurs, enfants ou adolescents. Ces chiffres, qui font partie de la propagande du Hamas sont invérifiables, mais les organisations humanitaires présentes à Gaza les considèrent comme crédibles. Parmi ces victimes, il y a par exemple 88 travailleurs humanitaires, liés à des agences travaillant pour le compte des Nations Unies. Quand on largue une bombe du ciel, on ne sait jamais précisément qui se trouve en dessous, surtout dans des zones aussi densément peuplées. Les bombardements israéliens ne font pas dans la dentelle.   On sait ainsi que 16 des 35 hôpitaux de Gaza ne sont plus en état de fonctionner. À ces chiffres terribles, il faut ajouter les personnes déplacées pour fuir les combats : 500 000, coté israélien, dans les heures et jours qui ont suivi le 7 octobre, plus d’un million et demi du côté palestinien. Et puis surtout, des combats qui continuent. Depuis un mois, le Hamas et le Hezbollah auraient lancé 9000 roquettes vers Israël, soit depuis Gaza, soit depuis le sud du Liban. L’armée israélienne aurait largué l’équivalent de 18 000 tonnes d’explosifs sur la bande de Gaza.

Ces chiffres, même s’ils sont imparfaits, rendent compte de l’horreur que vivent les populations sur place. On peut s’invectiver, se chamailler, sur un mot, sur l’autre. Ce n’est pas toujours très digne ni dénué d’arrière-pensées. Ce n’est pas cela qui mettra fin à un conflit qui dure plus d’un demi-siècle, et qui est toujours plus sanglant. Il s’agit d’un conflit dont on ne pourra sortir qu’en reconnaissant l’humanité des deux parties, en cessant de vouloir voir l’autre contre un monstre, en établissant qu’une vie humaine, quelles que soient nos différences, religieuses, philosophiques ou politiques, a le devoir d’être préservée. C’est plus facile à dire qu’à faire. On ne voudrait surtout pas faire la leçon, nous qui n’habitons ni Khan-Younes, ni Sdérot, qui voyons cela de très loin depuis Bruxelles ou ailleurs, et qui devons avoir l’humilité de constater que nous n’avons pas vécu ce mois d’horreur. Les hommes et femmes de bonne volonté ne peuvent émettre qu’un souhait : que les combats et les attaques cessent au plus vite. Et des deux cotés.

Fabrice Grosfilley