L’éditorial de Fabrice Grosfilley : quitter la politique

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Dans son édito de ce mardi 26 septembre, Fabrice Grosfilley revient sur les départs de deux figures politiques emblématiques.

Ce sont deux figures marquantes de la politique bruxelloise, chacune dans leur registre. Georges Dallemagne pour les Engagés (ex-CDH) et Youssef Handichi pour le PTB annoncent tous les deux ce matin qu’ils arrêteront la politique après 2024. L’un s’exprime dans le Soir, l’autre dans la Dernière Heure. L’un est député fédéral, l’autre siège au parlement bruxellois, mais tout deux ne devraient pas figurer sur les listes de leur parti l’année prochaine, en tout cas pas en ordre utile, il n’est pas exclu que l’un, ou l’autre, se retrouve malgré tout à pousser une liste, historie de profiter une dernière fois de leur notoriété.

Ces deux hommes ont très profils très différents. Georges Dallemagne est très engagé sur les questions internationales, les droits humains, l’aide humanitaire. Il a aussi beaucoup attiré l’attention sur les dangers de la radicalisation ces dernières années, ce qui ne lui a pas fait que des amis. Youssef Handichi était l’homme de la STIB au sein du PTB. Ancien syndicaliste, il avait gardé le contact avec le milieu ouvrier dont il se voulait le relais, à la STIB bien sûr, mais aussi à Bruxelles-Propreté par exemple, on l’entendait régulièrement sur les questions de transport, il était aussi intervenu dans le débat concernant Good Move.

Pourtant, les deux hommes, par-delà leurs différences, pointent tous les deux, une forme de lassitude pour expliquer leur décision de ne pas se représenter. “C’est difficile. Il y a une frustration parfois, une incompréhension par rapport au manque d’efficacité dans la décision” explique Georges Dallemagne. “Je pense avoir fait le tour de cette vie politique qui est devenue trop théorique. Le Parlement m’a usé. C’est une vie trop éloignée de la réalité” renchérit de son côté Youssef Handichi. Il n’est pas anormal de vouloir changer de direction et il est plutôt sain de considérer que la politique n’est pas une carrière dans laquelle on entre à vie. Place aux jeunes, c’est la logique des choses, mais les états d’âmes étalés dans la presse ce matin disent, chacun dans leur genre, quelque chose de la violence du monde politique.

La politique n’est pas toujours le noble et beau débat d’idée (cela l’est même de moins en moins). Ce sont trop souvent les insultes, les pressions, le dédain des citoyens qui finit par décourager les plus motivés. Georges Dallemagne parle ainsi d’une “vie politique un peu âpre, avec la société qui s’est brutalisée, les réseaux sociaux qui rajoutent de l’huile sur le feu, la violence gratuite » indiquant notamment qu’il a du être placé sous protection après des déclarations sur le port du voile.

Youssef Handichi de son côté évoque une forme de déception liée à son travail de parlementaire et au positionnement de sa formation. “Il y a quelques dérives au sein du parti”, indique-t-il, mais refusant d’en dire plus. “Sous cette dernière législature, il nous a manqué du peps pour faire reculer le gouvernement alors qu’on avait un boulevard devant nous. On aurait pu gagner des victoires importantes, mais on n’a pas capté suffisamment la colère du terrain. Cela m’a pesé.” Ces propos sont importants, il est rare qu’un élu du PTB se permette de critiquer la ligne mise en place par la direction du parti. Dans de nombreux partis, la critique est censée être réservée aux réunions internes, c’est particulièrement vrai dans celui-ci.

Chacun dans leur style les deux élus confessent donc une certaine prise de distance avec leurs états-majors respectifs. Leur retrait n’est pas tout à fait une surprise pour ceux qui suivent la vie politique de près. On savait déjà que Youssef Handichi laisserait sa place de 2e de liste à la région à  Soulaimane El Mokadem, 25 ans, issu des Marolles. Georges Dallemagne de son coté n’était pas pas assuré d’être en position éligible, les engagés étant lancés dans une grande opération de rajeunissement de leur personnel politique, privilégiant les ralliements externes. L’un et l’autre partent sans doute la tête haute avant qu’on ne les pousse de manière moins glorieuse vers la sortie.

Mais qu’ils expriment cette sorte de spleen, ce sentiment d’impuissance (relatif), voire une forme de dégoût, et qu’ils s’inquiètent de la violence subie par les élus doit nous alerter. Il en va de la politique comme de nombreuses autres activités : quand tous les dégoûtés seront partis il ne restera plus que les dégoûtants. À la différence que ces élus nous représentent tous. Et que les problèmes qu’ils rencontrent e sont donc aussi les nôtres.

Fabrice Grosfilley