L’éditorial de Fabrice Grosfilley : les magistrats jouent à la querelle communautaire
Dans son édito de ce jeudi 12 octobre, Fabrice Grosfilley revenait sur les tensions communautaires au sein de la justice bruxelloise.
C’est un mouvement de mauvaise humeur, comme on peut en connaitre dans de nombreuses corporations. Mais c’est aussi et surtout un réflexe communautaire dont on pensait qu’il appartenait au passé. Hier, les membres néerlandophones de la commission de nomination qui devaient désigner un nouveau procureur général pour l’arrondissement judiciaire de Bruxelles ont purement et simplement décidé de bloquer le processus. Pas de magistrat nommé alors qu’il y avait deux candidats pour le poste : Paul d’Haeyer, actuel président du tribunal de l’entreprise, et Frédéric Van Leeuw, qui quitte sa charge de procureur fédéral. Finalement, ce ne sera ni l’un ni l’autre. Ce n’est pas qu’ils manquent de qualités ces candidats, pas du tout. C’est juste qu’ils sont francophones. Et que les membres néerlandophones de la commission de nomination ont décidé de se servir de cet argument pour faire part de leur mécontentement.
J’essaye de vous expliquer. C’est le journal le Soir qui a sorti l’information ce matin. Ce poste de procureur général est fondamental. Le procureur général, c’est le numéro 1 de l’arrondissement judiciaire. Il est le patron des patrons dans son arrondissement, au-dessus du procureur du Roi. Il dirige la Cour d’appel, et il participe au Collège des procureurs généraux, organe qui définit les priorités en matière de poursuites et de politique criminelle. Il y en a cinq pour tout le royaume. À Bruxelles, le poste est occupé par Johan Delmulle. C’est bien un francophone qui devait lui succéder dans les mois à venir. Pour l’instant, il n’aura donc pas de successeur.
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Si les membres néerlandophones de la commission de nomination du Conseil Supérieur de la Justice ont décidé de sursoir à la décision, c’est pour protester contre une autre nomination. Ou plutôt un maintien en fonction de la présidente de la Cour d’appel, Laurence Massart. Vous en avez beaucoup entendu parler, c’est elle qui a dirigé le procès des attentats du 22 mars. Elle est francophone. Elle aurait dû être remplacée par un Néerlandophone. La procédure avait été lancée par le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne. Sauf qu’elle n’a pas voulu quitter son poste, qu’elle a intenté une action au conseil d’État pour être prolongée. Et qu’en attendant la décision du conseil d’État, elle reste en poste. Ce refus de faire un pas de côté au nom de l’équilibre linguistique n’a pas plu aux magistrats flamands qui siègent dans le conseil de nomination. Puisqu’il y a un néerlandophone qui n’a pas eu le poste qu’il désirait, ils ont donc bloqué en retour la nomination d’un francophone. Tant pis si c’est le plus haut magistrat de l’arrondissement.
On pensait que c’était terminé ce genre de guérilla communautaire. Que la Région bruxelloise faisait désormais preuve de maturité, et que l’intérêt des Bruxellois l’emportait sur les affrontements hérités du Wallen Buiten ou du carrousel des Fourons. Dans le monde de la justice, ce n’est pas le cas. Les magistrats pratiquent entre eux une forme de loi du talion linguistique, ça ne les grandit pas, et cela nous inquiète sur leur sens des responsabilités. À Bruxelles, nous n’avons déjà pas de procureur du Roi en titre, parce que (depuis la démission de Jean-Marc Meilleur), on n’a pas réussi à désigner un remplaçant francophone. C’est donc un adjoint, Tim de Xolf, néerlandophone, qui “fait fonction”. Nous n’aurons bientôt plus de procureur général quand Johan Delmulle arrivera à la fin de son mandat. Il manque en outre 22 magistrats pour remplir le cadre. L’arriéré reste supérieur à celui des autres arrondissements. Le parquet, débordé, a demandé le renfort des polices locales pour mener à bien les enquêtes qui découlent de l’opération Sky-ECC, des infractions importantes sont renvoyées vers les fonctionnaires sanctionnateurs des communes. Le trafic de drogue est à tous les coins de rues. L’immense majorité des justiciables emploie la langue française. Mais il y a encore des magistrats qui se complaisent dans des guérillas communautaires, et qui font passer leurs réflexes linguistiques (et leur intérêt personnel) avant l’efficacité de la Justice.
Fabrice Grosfilley