L’éditorial de Fabrice Grosfilley : le bon débat

Dans son édito de ce jeudi 19 octobre, Fabrice Grosfilley revient sur les débats entre les ministres sur l’attentat et l’immigration.

Des visages graves, des ministres qui se serrent les coudes, le sentiment de responsabilité qui transparait dans les propos et un ton employé entre la retenue et la contrition. L’interrogation des ministres du gouvernement fédéral par les députés des commissions de l’Intérieur et de la Justice réunis a donné le ton hier : pas de fanfaronnade, la reconnaissance que quelque chose n’a pas bien fonctionné, et une volonté dans la majorité de faire profil bas. “Nous avons des leçons à tirer de ce qui s’est produit. Comment se fait-il que quelqu’un en situation illégale puisse rester sous les radars ?”, s’est ainsi demandé le Premier Ministre Alexander de Croo. Avant de reconnaitre que les différentes bases de données ne sont toujours pas suffisamment interconnectées, et de souhaiter “une politique européenne d’extradition“.

Cet aveu du Premier Ministre, les explications des ministres de la Justice et de l’Intérieur et de Nicole De Moor, la Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, n’ont pas convaincu tous les députés. Notamment l’épineuse question des bases de données et des échanges d’informations entre services. Elle avait déjà été mise sur la table après les attentats de 2016. Elle avait refait surface lors de l’assassinat du policier Thomas Monjoie près de la gare du Nord. Elle est à nouveau défaillante ici. Les antécédents d’Abdesalem Lassoued, sa condamnation en Suède, celle en Tunisie, son signalement pour radicalisme par les autorités italiennes : tout cela n’était pas partagé, car considéré comme insuffisamment relevant. “Avec ces infos en notre possession, on aurait eu une tout autre image de cet individu”, a reconnu Vincent Van Quickenborne, Ministre de la Justice.

Pourtant, ce n’est pas cette question-là qui a le plus agité les parlementaires hier soir. Le débat a en effet plutôt glissé vers la question de l’immigration et de l’expulsion des personnes en séjour illégal. “Il faut mieux faire respecter les ordres de quitter le territoire“, entendait-on hier à la Chambre. C’est une évidence : un ordre est fait pour être respecté. C’est beaucoup plus difficile à faire qu’à dire. Et puis, surtout, on a aussi entendu hier la N-Va et le Vlaams Belang élargir le débat à la politique d’asile en général. La politique de retour forcée du gouvernement ne serait pas assez ferme, on accueillerait trop de monde en Belgique, etc. Le refrain est connu et archiconnu. Cette petite chanson n’a pas grand-chose à voir avec ce qui s’est passé lundi. Le vrai débat est celui d’une surveillance insuffisante des milieux radicaux. Le vrai débat est celui des informations qui se perdent, de ces bases de données qu’on ne réactualise pas.

Le vrai débat, c’est aussi celui des moyens que l’on donne (ou pas) à la police et à la justice pour faire respecter la loi. Cet ordre de quitter le territoire, s’il est resté lettre morte, c’est sans doute parce qu’on n’a pas les moyens d’envoyer des policiers sonner à toutes les portes des domiciles présumés des personnes en séjour illégal (il y en aurait 100.000 en Région bruxelloise). La politique de l’asile engluée dans son arriéré qui fait que des personnes restent des années sur le territoire avant d’avoir une réponse sur leur demande d’asile, c’est aussi un manque de moyen (et de courage politique). Le manque de sécurité dans la Région bruxelloise, toujours un manque de moyen. Manque de policiers, manque de magistrats, manque de place dans le réseau Fedasil… Au fédéral, on parle beaucoup, on finance beaucoup moins. La multiplication des manquements, les effectifs insuffisants, ce laisser-faire, ce laisser-aller, il est en partie responsable de ces zones grises qui se multiplient et profitent aux milieux criminels. C’est peut-être un détail, mais l’interception d’Abdesalem Lassoued mardi matin n’a pas été opérée par des hommes de la police fédérale, mais par une brigade d’intervention de la police locale. Dans ce pays en mille-feuille qui est le nôtre, il faut que les différents étages communiquent, bien sûr. Mais il faut aussi que tous les étages aient les moyens de travailler et qu’ils soient de préférence concentrés sur le travail qui est le leur plutôt que sur des polémiques sans fin aux contours très théoriques.

Fabrice Grosfilley