L’éditorial de Fabrice Grosfilley : la prise de conscience de la rue Wayez
Dans son édito de ce vendredi 15 septembre, Fabrice Grosfilley revient sur les fusillades à Anderlecht, et le trafic de drogues.
19 balles tirées à la kalachnikov, 17 qui ont atteint le corps de la victime, une rue Wayez en état de choc. Des riverains, des commerçants qui font part de leur incompréhension, de leur peur aussi. Des références à Chicago ou à Marseille. La crainte que les règlements de compte s’enchaînent et que le trafic de stupéfiants ne prennent des proportions qui ne seraient plus gérables par les services de police.
La fusillade n’a pas duré très longtemps. Moins de deux minutes, cela tire vite une kalachnikov. La victime est un Anderlechtois âgé d’une trentaine d’années, père de deux enfants, il circulait à bord d’une golf GTI, était connu pour des faits de trafic de stupéfiants, mais ne semblait pas être “un caïd” du milieu. Ses agresseurs étaient au nombre de quatre, circulant, eux, à bord d’une voiture volée qu’on a retrouvée incendiée quelques heures plus tard. On parle de bandes implantées au Peterbos, d’une vendetta qui pourrait avoir été ordonnée par le milieu marseillais qui serait en train de prendre le contrôle du trafic de drogue à Anderlecht. Hypothèse ou rumeurs, la police ne fait pas de commentaires à ce stade, mais le scénario ressemble à celui d’un film d’action, sauf que ce n’est pas du cinéma.
En 3 jours, il y a eu 3 fusillades à Anderlecht. Lundi soir, mardi soir, mercredi soir, trois nuits de coups de feu à répétition. Par chance, seule la fusillade de la rue Wayez a eu des conséquences dramatiques. Mais la crainte est maintenant celle d’une escalade entre groupes rivaux. Intimidations, vengeances, contre-vengeances, une situation “à la marseillaise”, où les fusillades sont devenues quotidiennes et où on dénombre déjà 42 morts depuis le début de l’année. La crainte d’une balle perdue, ce qui est arrivé à Marseille le week-end dernier, quand une jeune fille de 24 ans, étudiante en droit, a perdu la vie après qu’une balle ait traversé le mur en contreplaqué. Les assaillants visaient les fenêtres des immeubles pour éviter que des témoins ne les filment.
Ce n’est pas la première fois qu’une fusillade liée au trafic de drogue a lieu en région bruxelloise. On se rappelle q d’une série qui avait défrayé la chronique à Molenbeek l’an denier. Un fait n’est pas l’autre. Entre les règlements de compte, les hold-up, les actions d’intimidations, les rivalités amoureuses, les déséquilibrés, les vendettas familiales, il faut parfois faire le tri. C’est le travail des enquêteurs. On peut poser malgré tout quelques constats. D’abord l’omniprésence des armes à feu. Et y compris, ici, les armes de guerre. On se souvient que ministre de la Justice Laurette Onkelinx avait tenté en 2008 de contingenter et réglementer la possession d’armes à feu. L’intention était louable, mais ne concernait pas vraiment la criminalité organisée et cela n’a pas empêché le marché noir de poursuivre son activité. Il serait sans doute opportun 15 ans plus tard de relancer la lutte contre le trafic d’armes à feu.
Deuxième constat : les sommes colossales qui sont désormais en jeu dans le cadre du trafic de drogue. Ces drogues sont de plus en plus consommés : héroïne, cocaïne, crack. Un plus grand marché, c’est plus de victimes (on n’oubliera pas que le toxicomane met sa santé en jeu), et plus de consommateurs attirent plus de trafiquants. C’est un fléau que nous tardons à affronter, et contre lequel nous semblons en partie démunis. On peut parler de narco-trafic, de narco-banditisme, certains parlent de narco-terrorisme. Il ne suffit pas de désigner une magistrate de référence pour lutter contre ce trafic, il faut aussi lui donner des moyens.
Il faut que cette fusillade de la rue Wayez réveille les consciences. Que les jeunes (et leur entourage, des parents au grand-frère en passant par la petite amie), en entrant dans un réseau de trafiquants sachent qu’on ne leur fera pas de cadeaux. Que leur pire ennemi n’est peut-être pas la police, mais les caïds qui sont à la tête de leur organisation ou les hommes de main du réseau d’en face. Que cet engrenage où on commence par faire le guet pour quelques billets facilement gagné, avant à vendre quelques grammes pour améliorer son train de vie, peut de fil en aiguille conduire au drame.
Enfin, on se gardera de tomber dans l’auto dénigrement , le “brussels bashing”, si répandu dans ces cas-là et laisserait penser qu’il y a une sorte de malédiction à Anderlecht. Le narco-trafic touche toutes les grandes villes : Anvers (porte d’entrée majeure de la drogue en Europe)-, Amsterdam, Paris, Marseille, Grenoble. Personne n’est épargné. La réponse doit donc être coordonnée, si possible au niveau européen, et à défaut au niveau belge. Avec des policiers en nombre suffisant disposant des meilleurs outils technologiques, des magistrats attentifs qui prennent la mesure de la pieuvre qui se trouve face à nous. Une pieuvre qui étend désormais ses tentacules au cœur de nos quartiers.
Fabrice Grosfilley