L’édito de Fabrice Grosfilley : une majorité fédérale en liquidation

Dans son édito de ce lundi 06 novembre, Fabrice Grosfilley revient sur les conflits au sein de la Vivaldi.

Une impression de délitement. C’est le terme qui vient à l’esprit pour évoquer la situation dans laquelle se trouve désormais la majorité Vivaldi au fédéral. Une majorité qui a, tant bien que mal, fait le job face aux évènements qui s’imposaient à elle comme la crise de la Covid-19, la guerre en Ukraine ou encore la flambée de l’énergie. Mais qui étale sa désunion dès qu’elle n’est plus contrainte de se dresser face à l’imprévu. Dernier épisode : la loi anti-casseurs. Cette disposition qui permettait d’assortir les condamnations pour trouble à l’ordre public ou violence contre les forces de l’ordre d’une interdiction de manifester est désormais recalée par le Parti socialiste. Paul Magnette a indiqué ce week-end dans une interview au journal l’Echo que ses députés ne la voteraient pas. Il justifie sa décision par la crainte que cette nouvelle loi ne serve moins à mater les casseurs qu’à casser du syndicaliste. Il appuie son argumentaire sur les condamnations en justice des militants syndicaux qui participent aux actions contre le groupe Delhaize et ses franchisés, avec l’interdiction préventive et quasi systématique des piquets de grève, astreinte à la clef.

Que le Parti socialiste entende les critiques des mouvements syndicaux, des ONG et autres organisations de défense des Droits de l’Homme qui critiquaient ce projet, n’est pas anormal. Il est même plutôt dans son rôle le PS lorsqu’il relaye les acteurs du monde du travail. Le problème, c’est que la proposition avait été débattue en Conseil des ministres restreint et qu’elle avait fait l’objet d’une forme d’accord, et que, même au sein du PS, certains, comme Philippe Close, bourgmestre de Bruxelles confronté à des milliers de manifestations chaque année, ne lui trouvaient pas que des inconvénients. Revenir en arrière, c’est donner l’impression de renier une parole donnée. Analyse que n’a pas manqué de faire le grand rival de Paul Magnette, Georges-Louis Bouchez, qui, après avoir lu l’interview du socialiste, a immédiatement dégainé sur le canal X, anciennement Twitter. Si la loi anti-casseur n’est pas votée, cela entrainera la mise en cause d’autres accords, prévenait le président du MR. Et d’après Le Soir de ce matin, le MR remettrait ainsi en cause trois textes, l’un qui limite la publicité pour les jeux de hasards (gros sponsors des clubs de football), l’autre qui limitait la TVA à 6 % sur les travaux de démolition-rénovation au bénéfice des seuls particuliers, et un troisième qui concerne justement les entraves méchantes à la circulation lors des manifestations.

Tu retires un accord, j’en reprends trois. La stratégie de la confrontation est marche. On ne voit plus vraiment ce qui pourrait l’arrêter à neuf mois des prochaines élections. Le degré d’animosité entre présidents francophones atteint des proportions inégalées. On doute qu’Alexandre De Croo puisse réussir à calmer le jeu. Si dans le passé, les crises internationales ont permis de cimenter la Vivaldi, ce qui se passe au Proche-Orient a l’effet inverse. Entre ceux qui trouvent qu’il faut faire pression sur Israël pour obtenir un cessez-le-feu sans condition, et ceux qui intentent un procès en antisémitisme à ceux qui ne pensent pas comme eux, le climat est devenu irrespirable.

Cette impression de délitement encore renforcée par les scandales et les dysfonctionnements au plus haut niveau de l’État. La démission du Ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne est l’illustration de la fragilisation de la coalition Vivaldi. À titre personnel, l’ancien Ministre de la Justice, déjà écorné par le peu glorieux “pipigate”, n’avait sans doute par d’autres solutions que de faire un pas de côté. Il est même salutaire qu’un ministre ose porter la responsabilité politique d’une faute commise par autrui. La mort de deux supporters suédois dans un attentat terroriste commis par un individu qui avait été signalé comme douteux et sans autorisation de séjour n’est pas un fait anodin. Si le choix de démissionner s’imposait, il n’en reste pas moins qu’Alexander De Croo a perdu son plus fidèle lieutenant et que les dysfonctionnements de la Justice sont apparus au grand jour. Si d’autres ministres n’ont pas démissionné, comme la Ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden, ou la Secrétaire d’État à l’asile Nicole De Moor, ou un peu plus tôt Hadja Lahbib (mise en cause dans l’affaire des visas iraniens), il n’en reste pas moins que leur image a aussi été écornée. Au final, ces ministres sortent plutôt éreintés de leur exercice du pouvoir. S’ils veulent éviter l’image d’une majorité en liquidation avant terme, ceux qui sont au pouvoir doivent démontrer désormais qu’ils ont quand même le sens de l’État, pour remplir la première de leurs missions, celle qui doit passer bien avant les positionnements électoraux et les petites phrases assassines : celle de faire fonctionner l’État fédéral.

Fabrice Grosfilley