L’édito de Fabrice Grosfilley : une colère qui monte
Dans son édito de ce jeudi 30 mai, Fabrice Grosfilley revient sur le conflit opposant Israël au Hamas et ses conséquences en Belgique.
C’est une marée montante, il va être difficile de l’arrêter. À Uccle hier, mais aussi à Paris, en Espagne, au Brésil… les manifestations d’opposition à ce qui est en train de se passer à Gaza se multiplient. Rassemblements dans la rue, protestations devant les ambassades, occupations de bâtiments universitaires, le mouvement est international, il prend de l’ampleur et il est porté par les plus jeunes, les étudiants notamment. À Uccle donc, hier soir, pour le deuxième jour consécutif, des manifestants se sont rassemblés à proximité de l’ambassade d’Israël. La manifestation n’était de nouveau pas autorisée, mais elle avait été annoncée sur les réseaux sociaux. La police avait donc installé un dispositif pour tenir les manifestants à distance. Ils étaient plusieurs centaines, sans doute un millier, à crier “free free Palestine“. Les manifestants voulaient également dénoncer les violences policières de la veille, avec notamment un étudiant blessé. Ils ont à nouveau été chassés à coups de gaz lacrymogène et de canons à eau par la police locale, conséquence vraisemblablement de jets de projectiles contre les forces de l’ordre, c’est en tout cas ce qu’indique le bourgmestre Boris Dilliès qui évoque la présence de “black Box” sur X/Twitter.
La nouvelle manifestation illégale a été tenue à l’écart de l’amb. d’Israël.
Parmi les manifestants, un groupe d’individus ultra violents, black blocs, ont lancé des projectiles vers les forces de l’ordre et tenté de forcer les barrages.
Évacuation en cours. Merci @zpz5342 pic.twitter.com/EsfZU4taxR
— Boris Dilliès (@BorisDillies) May 29, 2024
À Paris, on a compté 4.500 manifestants hier soir. Là aussi, la police a dispersé la foule. Dans plusieurs villes de France, les autorités locales ont décidé d’éteindre les lumières pour marquer leur solidarité avec les victimes palestiniennes des bombardements de ces derniers jours. Le Brésil, de son côté, a décidé de rappeler son ambassadeur en Israël. Sur place, Israël contrôle désormais les 3/4 du corridor de Philadelphie, cette petite bande de terre de 14 km qui sépare Gaza du territoire égyptien. Rien n’indique que le point de passage de Rafah ne soit prochainement rouvert. Les organisations non gouvernementales décrivent une aide humanitaire sur le point de s’effondrer. Les autres points de passage ou l’acheminement de l’aide par bateau étant considérés comme cosmétiques par des organisations comme Handicap International, Oxfam ou Amnesty International. MSF indique ne pas avoir pu s’approvisionner depuis le 6 mai. À Gaza, on meurt sous les bombardements, mais aussi de malnutrition, de maladie ou de manque de soins. L’espoir d’une accalmie n’est pas pour demain : un responsable militaire israélien évoquait hier une guerre qui pourrait encore durer sept mois, et dont l’objectif reste pour lui la destruction du Hamas, notamment de ses capacités militaires.
“N’importons pas le conflit chez nous.” C’était le vœu formulé après l’attaque du Hamas le 7 octobre. Garder le sens du dialogue. Ne pas en faire un thème de campagne, éviter de dresser les Bruxellois les uns contre les autres. Ce discours a aujourd’hui de plus en plus de mal à être entendu. Il est même devenu inaudible pour une partie de la jeunesse, pour qui le silence n’est plus une option moralement acceptable. La situation des Gazaouis émeut chez nous. Mais pas seulement chez nous. Sur le plan diplomatique, on notera cette déclaration de Xi Jinping, le président chinois : “La justice ne doit pas être absente pour toujours” dans la région. Il a plaidé pour l’organisation d’une grande conférence de paix et a rappelé que la position chinoise était la création de deux États, l’un pour les Israéliens, l’autre pour les Palestiniens. Déclaration faite lors d’un discours en ouverture du Forum Chine-pays arabes organisé à Pékin. Cette prise de position chinoise compte. Elle illustre le rôle diplomatique que la Chine entend jouer dans la conduite des affaires internationales. Nous sommes passés d’un monde dominé par le face-à-face États-Unis – Union Soviétique, à un monde plus multipolaire, mais dans lequel la Chine a désormais son mot à dire et se pose comme un arbitre mondial en devenir. Dans ce nouvel équilibre, les Européens, on le sent, cherchent leur place. Trop alignés sur les États-Unis ou trop proches d’Israël, c’est prendre le risque d’être perçus et catalogués comme des États qui gardent de vieux réflexes de colonisateurs ; trop éloignés d’Israël, c’est s’exposer aux accusations d’antisémitisme.
Ce matin, on notera encore cet appel du président égyptien Al-Sissi, là aussi lancé depuis Pékin, le voisin des Palestiniens. Il appelle la communauté internationale à fournir immédiatement une aide humanitaire à long terme à la bande de Gaza et à empêcher tout déplacement forcé des Gazaouis. Parce que c’est effectivement le risque aujourd’hui. Derrière la destruction systématique de la bande de Gaza se devine désormais la volonté de déplacer des populations. Par nécessité ou départ volontaire puisque qu’il ne reste plus rien à Gaza et que la vie y est devenue infernale. Par la force peut-être, ce qui serait encore pire et ne ferait qu’amplifier la colère et les protestations. Ce qui se passe à Gaza met le monde en ébullition. Croire que Bruxelles peut rester à l’écart des protestations, de l’émotion, de la colère… est une vue de l’esprit.
Fabrice Grosfilley