L’édito de Fabrice Grosfilley : tombe la neige

Dans son édito de ce jeudi 9 janvier, Fabrice Grosfilley revient sur la neige et son traitement médiatique.

Vous n’y échapperez pas. La neige est sur toutes les lèvres ce matin. À la radio, à la télévision, sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les conversations : en famille avec les enfants, au travail avec vos collègues, ce sera l’information du jour. Comme à chaque fois, on se demandera si les médias n’en font pas un peu trop. S’il n’y a pas autre chose à dire sur ce monde qui nous entoure.

Évidemment, la neige est un événement spectaculaire, visuel, télégénique. C’est peut-être pour cela que les télévisions sont suspectées d’en faire un peu trop. Mais c’est malgré tout une situation qui nous impacte et qui peut même avoir des conséquences importantes sur notre vie quotidienne. Il est donc légitime d’en parler. La première conséquence à laquelle on pense, c’est évidemment la mobilité. Les médias sont dans leur rôle quand ils vous expliquent que celle-ci peut être contrariée par une neige abondante. Ils remplissent aussi une mission d’alerte importante lorsqu’ils appellent les automobilistes à la prudence. La neige, c’est aussi, à chaque fois, de la tôle froissée. Non, on ne peut pas conduire comme d’habitude lorsqu’il y a de la neige sous les pneumatiques. Et oui, si vous avez des pneus été, il est conseillé de ne pas sortir. On répétera donc ces consignes ce matin : évitez de prendre le volant et privilégiez les transports en commun.

Puisque, à Bruxelles, nous sommes nombreux à choisir les deux roues pour nous déplacer — scooter, vélo, trottinette —, ce conseil s’étend également à ces engins. Il est particulièrement délicat de faire du vélo ou de la trottinette sur la neige ou sur la glace. Là, on ne parle plus de tôle froissée, mais d’un risque de fracture. Soyez extrêmement prudent si vous décidez de vous déplacer malgré tout, et surtout, respectez les piétons, qui peuvent, eux aussi, être mis en difficulté par les trottoirs mal dégagés.

Il y a peut-être une autre raison pour laquelle la neige prend autant de place dans les conversations comme dans les médias : sa présence est incontestable. C’est un fait, il n’est pas discutable, sauf à souffrir d’un trouble profond du discernement ou d’un esprit de contradiction hypertrophié. Il neige, point. La neige ne fond pas. Le paysage est blanc. Ça glisse. Une enfant de 3 ans, une ménagère de 50 ans, un vieillard de 98 ans, tout le monde pourra faire les mêmes constatations. On peut se mettre d’accord sur la neige. Il n’y a pas débat.

Dans ce monde médiatique troublé, où les fausses informations rivalisent avec les vraies sur les réseaux sociaux, où tout semble pouvoir se discuter — de l’intérêt de la vaccination, au réchauffement climatique, en passant par la réalité du racisme ou la nécessité de respecter l’État de droit — voici quelque chose qui ne se discute pas. D’RTL-TVI à Facebook, d’Instagram au café Chez Maurice, ou encore dans “Bonjour Bruxelles” sur BX1, tout le monde conviendra donc qu’il a neigé ce matin. C’est un sujet de conversation sans risque, sans polémique. Même si, là aussi, on pourrait s’autoriser de la nuance.

Le peuple Sami, ceux qu’on appelle parfois les Lapons, aurait ainsi près de 300 mots différents pour décrire la neige et la glace. Les Inuits, qui habitent le Groenland, en auraient une cinquantaine. Et même nous, en français, nous pouvons parler de poudreuse, de neige dure, de neige fondante, de neige verglaçante ou encore de givre. Mais petite déception : cette histoire des 300 mots pour les Sami ou des 50 mots pour les Inuits est une légende urbaine. Il y en aurait en réalité bien moins. C’est la preuve qu’on a besoin des réseaux sociaux pour s’inventer des histoires. Quand une histoire nous semble belle, on a envie d’y croire et, parfois, c’est notre côté marseillais : on l’enjolive.

Deuxième déception  : ce vocabulaire des peuples du Nord est en train d’évoluer. Ce sont des linguistes très sérieux qui le disent. Toute une série d’expressions ou de précisions sont en train de se perdre, tout simplement parce qu’on ne les utilise plus. C’est une conséquence du réchauffement climatique qui change les conditions de vie en Laponie et au Groenland. Cela peut nous emmener beaucoup plus loin qu’on ne le pense, de parler de la neige.

Fabrice Grosfilley