L’édito de Fabrice Grosfilley : tergiversations, exclusions, exaspération

Dans son édito de ce vendredi 10 janvier, Fabrice Grosfilley revient sur les négociations bruxelloises.

Tergiversation, exclusion, exaspération. Voici résumé en trois mots le contenu de 215 jours de négociations pour former un gouvernement dans la région bruxelloise. Entre le 9 juin et le 10 janvier : sept mois et un jour. Avec un constat terrible : nous n’avons même pas le début du commencement du prochain gouvernement.

Tergiversation, donc, durant la première période, celle qui a suivi le scrutin du mois de juin. Il y avait d’abord les élections communales, qui empêchaient des rapprochements électoralement contre-nature. Le MR et Les Engagés se présentent désormais en bloc. Il leur fallait un troisième partenaire, le PS s’imposait de par son score électoral. Un PS qui a commencé par se faire désirer, demandant un cadre clair. Finalement, les négociations ont pu officiellement démarrer le 1er août. Les trois formations francophones se sont accordées sur un projet de cadre budgétaire et ont même décidé ensemble de voter le report de la prochaine phase de la LEZ, la zone de basse émission. Pendant ce temps, du côté néerlandophone, ça coinçait. On ne trouvait pas de majorité. Pendant près de cinq mois, on a tergiversé.

Deuxième acte : lorsqu’un accord est trouvé côté néerlandophone. C’est là que le temps des exclusions commence. Cet accord prévoit la présence de la N-VA, ce que le PS refuse. Les socialistes claquent la porte et quittent les négociations. Depuis, c’est le blocage. Le MR tente d’embarquer DéFI et Ecolo pour remplacer le PS. La porte est entrouverte chez DéFI, mais elle est clairement fermée chez Ecolo. Hier soir, lors de la cérémonie des vœux de nouvelle année du MR bruxellois, l’ambiance était amère. “Bruxelles brûle, mais ils regardent tous ailleurs, chacun pour des raisons politiciennes”, glissait David Leisterh, pressenti comme prochain ministre-président. Comme à son habitude, Georges-Louis Bouchez était encore plus incisif, estimant que les partis de la majorité sortante (PS, Ecolo, DéFI) seraient “les comptables du déficit budgétaire” qui s’aggrave, mais aussi du “déclin social” de la région et d’un autre risque majeur : “celui de voir d’autres tenter de gérer Bruxelles de l’extérieur si une partie de la classe politique bruxelloise ne le fait pas de l’intérieur”.

Dans cette logique d’exclusion, il faut être de bon compte : les torts sont partagés. Aucun parti n’a les mains blanches. Le PS a évidemment une responsabilité majeure en refusant de négocier avec la N-VA. Ecolo porte aussi une part de responsabilité en optant, par principe, pour l’opposition. Mais le MR et Les Engagés ont également refusé la présence de Team Ahidar, contribuant à fermer le jeu côté néerlandophone. Ils ont aussi accepté le principe d’un accord au sein de la minorité néerlandophone qui s’imposerait à la majorité francophone avec la création inhabituelle d’un poste de commissaire au budget. Responsabilité à chercher également du côté néerlandophone, où l’on a imaginé ce scénario. Responsabilité du CD&V, qui refuse de négocier. Responsabilité de l’Open VLD, qui a imposé la présence de la N-VA. Face à ces logiques d’exclusion et à la paralysie des discussions, tous les partis bruxellois sont donc responsables. Mais aucun d’entre eux, évidemment, ne souhaite se voir comme coupable.

À court terme, on ne voit pas encore la sortie de crise.  Nous sommes donc contraints à l’exaspération. Il faudrait que la glace fonde entre le PS et la N-VA : cela n’en prend pas le chemin. Ou alors, il faudrait que les néerlandophones consentent à revoir leur majorité, ce qui n’a pas l’air de se faire non plus. Il reste donc l’option du temps. Le temps qui passe. Celui qui permet, à un moment, de lever une exclusive, de faire varier une position. Ce n’est pas possible en janvier, malgré sept mois de discussions. Ce le sera peut-être en mars, après un rapport critique de l’agence de notation Standard & Poor’s qui pourrait à nouveau dégrader la note de la région. Ou alors en juin, quand on aura fait le tour complet du calendrier et que l’exaspération sera devenue de l’horripilation. À ce stade, nous sommes donc amenés à patienter. Quelques semaines, sans doute. Quelques mois, au pire. On se refuse à imaginer que, faute de sens des responsabilités, il faille attendre plus longtemps.

Fabrice Grosfilley