L’édito de Fabrice Grosfilley : sourire sous la pluie

Bon, on ne va pas se mentir, il y a des jours plus difficiles que d’autres. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, ça pourrait l’être ces jours-ci. Se lever le matin, éteindre les 3 réveils parce qu’on ne sait jamais, sortir, affronter le froid, la grisaille, la pluie. Rentrer le soir, après une journée de travail et les contrariétés qui vont avec, toujours sous la pluie. Devoir se couvrir, se protéger, courir pour échapper aux trombes d’eau, cela finit par peser sur notre humeur. Même si on peut se consoler en pensant qu’il y a plus malheureux que nous. Je pense à ceux pour qui les trombes d’eau de ces dernières semaines se traduisent par des inondations de la cave ou du rez-de-chaussée, et surtout à tous ceux qui n’ont pas de toit au-dessus de la tête, qui dorment dans la rue, sous les ponts, dans l’embrasure d’un hall d’entrée, et qui se réfugient aux petites heures dans les stations de métro dès leur ouverture. J’en vois tous les matins, de ces sans domicile fixe, de ces mal logés qui tentent de trouver le sommeil sur un matelas jeté en pleine rue dans le meilleur des cas, le plus souvent une palette ou un carton.

Ce matin, ce qui m’a frappé, c’est que cette humidité qui plombe le moral et complique nos journées s’accompagnait d’une lente mais constante dégringolade des températures. Il y a une semaine, nous avions encore 20 degrés. Ce matin, il fait 7 degrés dans les rues de Bruxelles… les premières gelées nocturnes arriveront dans quelques jours.

Cette morosité météorologique n’est pas une vue de l’esprit. C’est l’IRM qui le dit. Ce mois de septembre est le douzième mois consécutif avec des précipitations supérieures à la moyenne à Uccle, a indiqué hier le météorologue David Dehenauw. “Du jamais vu depuis 1833” (date où débutent les observations de l’Institut royal météorologique). Septembre est déjà au-dessus de la moyenne, alors que nous ne sommes que le 12 du mois. Cette longue période de précipitations mensuelles supérieures à la moyenne s’explique, entre autres, par le réchauffement climatique, explique notre monsieur météo : “On a de plus en plus de temps extrêmes, avec de longues périodes de sécheresse suivies de longues périodes arrosées”. On peut nier le réchauffement ou, pour être plus exact, le dérèglement climatique, vouloir l’escamoter du débat public, faire semblant de ne plus le voir et ne plus vouloir en parler, le refouler comme l’aurait dit Sigmund Freud. Il y a des moments où ce dérèglement climatique nous revient en pleine figure et détrempe nos chaussures.

L’automne, c’est traditionnellement cette période un peu déprimante, des ciels qui s’obscurcissent et des journées qui raccourcissent. Le retour au boulot pour ceux qui ont eu la chance de profiter de leurs vacances, la rentrée scolaire pour les élèves, les examens de seconde session pour les étudiants. Le retour du quotidien qui tracasse et des factures qui s’amassent. Ce n’est pas l’actualité qui va nous remonter le moral. La guerre en Ukraine, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie aussi. Les bombardements et les massacres qui se répètent jour après jour. On serait bien tenté de tourner la tête et de ne plus en parler, mais ce serait manquer à notre devoir d’humanité de ne pas sursauter et s’émouvoir quand on compte les morts par dizaines, par centaines, par milliers, par dizaines de milliers, et qu’il y a parmi eux des femmes, des enfants, de très jeunes enfants. Être au mauvais endroit au mauvais moment, tandis que pendant ce temps, l’Europe se barricade et tente de monter des murailles autour de sa très relative prospérité. Ajoutons la fermeture très probable d’Audi Forest, 3 000 emplois sans oublier les sous-traitants. Les faits divers, le trafic de drogue, la pauvreté qui prend nos villes à la gorge. Non, on n’a pas de quoi avoir le moral, c’est sûr. Et même ces campagnes électorales, aux États-Unis, avec un candidat qui ment ouvertement, ou chez nous, avec des coups bas, des stratégies plus ou moins cachées ou des positionnements racoleurs qui nous font douter de la moralité de ceux qui entendent nous représenter, ne vont pas redresser notre psychologie chancelante.

Et puis, il y a quand même toutes ces raisons d’espérer. Se dire que dans la campagne électorale, il y a aussi des gens bien, qui méritent votre suffrage. Des entrepreneurs qui créent les emplois de demain. Des jeunes qui prennent leur destin en main et veulent changer ce qui peut l’être. Des utopistes. Des optimistes. Et tout près de nous, à portée de main ou un peu plus loin quand la vie nous sépare, tous ceux que l’on aime et nous aiment en retour. Alors oui, il pleut, on va affronter la pluie. Mais on aura la fierté de redresser la tête, de ne pas regarder que le bout de nos pieds, et de vouloir narguer les vents contraires… pour pouvoir offrir, à nous-même et aux autres, un grand sourire.

Fabrice Grosfilley