L’édito de Fabrice Grosfilley : sortir de la logique d’escalade

“La région et le monde ne peuvent se permettre plus de guerre (…) . Le Moyen-Orient est au bord du précipice. Les populations de la région font face à un vrai danger de conflit généralisé dévastateur. ” Ce sont les mots du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres hier soir, devant le conseil de sécurité des Nations-Unies. “C’est le moment du désamorçage et de la désescalade. C’est le moment de montrer une retenue maximale“, a insisté Antonio Guterres. L’appel du secrétaire général sera-t-il entendu ? C’est toute la question ce lundi matin. Tous les regards se tournent vers Israël et vers le gouvernement de Benjamin Netanyahou. Celui-ci décidera-t-il de riposter et de s’attaquer à l’Iran ? Une hypothèse qui fait craindre l’entrée dans un scénario d’escalade, où une frappe en entraîne une autre.

Du côté des Iraniens, on affirme n’avoir pas eu le choix et on invoque le droit à l’autodéfense.  “Le Conseil de sécurité a failli à son devoir de maintenir la paix et la sécurité internationale” en ne condamnant pas la frappe du 1ᵉʳ avril contre le consulat iranien à Damas, expliquait ainsi l’ambassadeur iranien devant le Conseil de sécurité hier soir. La réponse de l’Iran à cette frappe est donc connue : plus 300 drones, missiles balistiques et missiles de croisière, tirés en fin de journée samedi. Une attaque que les Israéliens affirment avoir largement déjouée. Seul l’un ou l’autre missile seraient tombés sur des basses militaires dans le plateau du Golan, territoire syrien annexé par Israël. Pas de victime annoncée, mais Israël réclame toutefois “toutes les sanctions possibles”contre l’Iran. Et la communauté internationale a largement condamné cette attaque.

Œil pou œil, dent pour dent. Cette loi du Talion qui est si souvent appliquée dans cette région du monde fait donc craindre le pire. Et au-delà des déclarations diplomatiques, l’utilisation des armes établit clairement les liens d’alliances des uns et des autres. Les rebelles Houtis par exemple, ont participé à l’action iranienne. Le Hezbollah, pro-iranien, lui aussi a lancé deux salves de roquettes. A l’inverse, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France ont participé à l’interception des missiles iraniens. Les deux camps sont assez clairement dessinés. D’un côté l’Iran qui appelle à la destruction de l’état israélien. De l’autre, les états occidentaux qui défendent le droit à l’état hébreu à disposer de son territoire et à le défendre. Tant qu’il disposera du soutien occidental et en particulier de celui des États-Unis, le rapport de force est indiscutablement favorable à Israël.

Pour autant, cette solidarité face à l’Iran a ses limites. Les États-Unis ont prévenu qu’ils ne participeraient pas à une éventuelle riposte israélienne contre l’Iran. Peut-on en rester là ?  Jusqu’à présent, Téhéran s’était gardé d’attaquer frontalement Israël et les deux pays avaient l’habitude de s’affronter par l’intermédiaire de tiers interposés, comme le Hezbollah libanais. Ce qui n’empêche pas les coups tordus, les attentats, les opérations clandestines montées par des espions, le soutien financier et logistique à des groupes terroristes aussi par le régime iranien. Jusqu’à cette frappe qui a détruit le 1ᵉʳ avril le consulat iranien à Damas et coûté la vie à sept membres des Gardiens de la révolution. Cet épisode a été ressenti comme une humiliation par les Iraniens. Ont-il lavé l’affront avec cette pluie de missile qui a raté sa cible ? C’est possible. L’Iran confirme d’ailleurs qu’elle avait prévenu un certain nombre d’acteurs diplomatiques de cette offensive. On frappe, et surtout, on prévient qu’on va frapper, et qu’on pourrait frapper plus fort encore. C‘est le mécanisme de la dissuasion.

La suite de l’histoire est donc en grande partie dans les mains du gouvernement israélien. Le gouvernement de Benjamin Netanyahou est en apparence confronté à l’ouverture potentielle d’un second front. Après le Hamas à l’ouest dans la bande de Gaza, c’est donc l’Iran qui bombarde par l’est, mais à distance. Stratégiquement, c’est délicat. Politiquement, cela l’est beaucoup moins. Depuis des semaines, il apparaissait clairement qu’Israël était l’oppresseur et en délicatesse avec le droit international. Que ses bombardements de la bande de Gaza étaient disproportionnés. Israël était même accusé de génocide. Joe Biden avait tapé du poing sur la table. L’attaque iranienne a changé la donne. Israël repasse du statut d’agresseur à agressé. La crainte, c’est que le gouvernement en place n’ait rien à perdre à poursuivre dans cette logique d’escalade militaire. Tant que le pays est en guerre, le gouvernement Netanyahu pourra se maintenir. Le même raisonnement peut s’appliquer aux autorités iraniennes : avoir un ennemi extérieur resserre les rangs à l’intérieur. Pour les populations civiles de la région, ce n’est pas une bonne nouvelle.

Fabrice Grosfilley