L’édito de Fabrice Grosfilley : Reste-t-il de bonnes volontés ?
Dans son édito de ce lundi 13 mai, Fabrice Grosfilley revient sur les mouvements de protestation contre Israël.
De l’Eurovision à l’ULB, en passant par les Nations-Unies, la campagne présidentielle américaine, le débat politique belgo-belge et bien sûr les échanges enflammés sur Twitter (X) : le Proche-Orient est partout. La guerre entre Israël et le Hamas, les destructions dans la bande de Gaza, l’accès difficile de l’aide humanitaire…. Mais aussi le glissement d’une critique de l’action d’Israël à un risque d’antisémitisme généralisé. Toutes ces informations saturent nos réseaux, monopolisent les écrans, s’imposent dans nos conversations. Ce matin, les bombardements se poursuivent donc sur Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Les images sont celles d’une destruction systématique, méthodique, où le déplacement des populations gazaouies précède un déluge de bombes et l’arrivée des chars. Il ne reste ensuite que des carcasses d’immeubles et des gravats. Les images se succèdent : Gaza City, Khan Younes, maintenant Rafah. Avec une stratégie qui semble désormais évidente : raser Gaz, la détruire, la rendre inhabitable. Une entreprise de destruction massive, où les habitations, les infrastructures, les voies de communication, le réseau d’eau, les écoles, les hôpitaux sont systématiquement bombardés, démolis, démontés. La condamnation de la communauté internationale est exprimée. Mais le gouvernement israélien a choisi de ne pas l’entendre.
Alors en Europe, aux États-Unis, ailleurs dans le monde, on voit la montée des mouvements de protestations. C’est l’occupation de campus universitaires par exemple. Avec ses dérapages parfois, et ce qui s’est passé à l’ULB est symptomatique. Avec un groupe d’étudiants qui occupe un bâtiment, organise des débats, mène des actions de sensibilisation. Cela ressemble au mouvement contestataire contre la guerre du Vietnam dans les années 60. On peut comprendre ce mouvement, une réaction d’empathie avec la population palestinienne, doublée d’une réaction de colère par rapport aux bombardements, une tentative de faire pression sur nos gouvernants pour qu’ils montent d’un cran dans les condamnations. On comprend beaucoup moins quand les étudiants veulent empêcher la venue d’Elie Barnavi. Un des intellectuels israéliens qui justement défend la solution à deux Etats et dit qu’il est aujourd’hui temps de reconnaître la reconnaissance d’un Etat Palestinien en bonne et due forme. Vouloir boycotter cet homme, lui demander de ne pas s’exprimer, le réduire au silence, refuser de l’entendre, c’est se tirer une balle dans le pied. C’est viser ceux qui en Israël plaident encore pour le dialogue. C’est vouloir ne faire d’Israël qu’un bloc politique monolithique. C’est aussi flirter avec l’antisémitisme, puisque ce n’est pas l’État d’Israël qui est condamné, mais tout ce qui peut s’y rapporter de près ou de loin, et au final, c’est là qu’est le dérapage, tout ce qui est juif.
Bien sûr, il y a des provocations. Des contre-manifestants qui viennent avec des drapeaux israéliens sur les épaules, c’est une manière de pousser les occupants de l’ULB dans leurs retranchements. Provoquer le comportement antisémite pour jouer la carte de la victimisation, la ficelle pourrait paraître un peu grosse, mais elle fonctionne. Ne pas répondre aux provocations, c’est le B.A-BA quand on se veut activiste. Les agressions physiques ne seront jamais une réponse convaincante. On ne répare pas une injustice par une autre injustice. On ne répond pas à l’oppression des uns en déniant le droit d’exister aux autres. Les deux peuples, palestiniens et israéliens, ont le droit d’exister. C’est une évidence pour tous ceux qui sont de bonne volonté. Les sifflets dont a été victime la candidate israélienne au concours de l’Eurovision n’ont évidemment pas beaucoup d’importance comparé aux milliers de victimes qui perdent la vie sous les bombardements ou aux dizaines d’otage du Hamas dont on est sans nouvelles. Elle est un symbole bien sûr, mais cette jeune chanteuse ne méritait sans doute pas une telle bronca.
Et puis dans cet océan de haine qui répond à la haine il y a parfois une lueur d’espoir. C’est un reportage hier soir au journal de la RTBF (et non de France 2 comme je l’ai dit par erreur dans la version vidéo de cet édito). Une initiative de pacifistes israéliens et palestiniens, qui veulent ensemble faire le deuil de leurs proches. Les uns ont perdu un membre de leur famille lors de l’attaque du Hamas du 7 octobre. Les autres ont vu des membres de leur famille périr sous les bombardements. Il n’y a rien qui ressemble plus à une famille en deuil qu’une autre famille en deuil. Ces pacifistes ont voulu donc se réunir ensemble. Allumer ensemble des bougies qui portaient le nom de leurs disparus, en langue arabe ou en hébreu. La réunion n’a pas pu avoir lieu faute d’autorisation de déplacement, mais elle s’est tenue par vidéo interposée. C’est marginal, minoritaire, anecdotique peut-être. Mais c’est aussi la preuve qu’il reste entre des hommes et des femmes de volonté, la possibilité de ne pas faire de hiérarchie malsaine. Et de pouvoir dire qu’une vie israélienne et une vie palestinienne méritent toutes les deux d’être défendues.
Fabrice Grosfilley