L’édito de Fabrice Grosfilley : représentativité ?
C’est une étude du Crisp qui s’étale à la une du journal Le Soir ce matin. Le nombre de “fils de” et “filles de” reste particulièrement élevé en politique. Un phénomène constant depuis une vingtaine d’années, souligne cette étude. Avec une pointe en 2003, année où on comptait 23 fils ou fille d’élu.e.s à la chambre, cela représentait 15% des député.e.s. Nous en sommes désormais à 12% d’élus issus d’une famille déjà active en politique au parlement fédéral, la proportion est de 11% pour le Parlement Bruxellois. Bien sûr, on ne peut pas reprocher individuellement au fils ou à la fille d’un député ou d’un ministre d’avoir envie de faire de la politique. Et certains le font d’ailleurs très bien, avec compétence, sérieux et sens de l’engagement. De même qu’on ne reprochera à un fils d’enseignant de devenir enseignant, à la fille d’un médecin de devenir médecin, ou à un fils d’entrepreneur de devenir entrepreneur à son tour, voire de reprendre la boite de papa ou de maman. Le milieu dans lequel vous évoluez enfant, la culture dans laquelle vous baigniez, orientent souvent la suite de votre existence. On peut y voir quand même le signe d’une société dans laquelle le mérite individuel suffit rarement à se faire une place au soleil. Il y a heureusement des exceptions, mais dans la grande majorité des cas la reproduction sociale est plutôt la norme. Le fameux décret inscription qui devait augmenter la mixité dans nos écoles et contribuer à rétablir un peu d’égalité des chances n’a corrigé les choses qu’à la marge. L’ascenseur social est plus fréquemment en panne qu’on ne veut bien le dire.
Dans le cas de la politique, c’est encore plus grave. Être élu n’est pas “seulement” un métier. C’est aussi une fonction de représentation de l’ensemble des citoyens. Le suffrage universel a pour but d’assurer que ceux qui légifèrent soient représentatifs de la société, que nous soyons hommes ou femmes, jeunes ou vieux, bien nés ou pas, universitaires ou sans diplôme. Il faut donc avoir le courage de poser ce constat : dans l’arène politique, les familles qui font de la politique sont donc surreprésentées. On en est même revenu au niveau de 1894, notent les auteurs de cette étude (qui remarquent cependant que le parlement Bruxellois est moins concerné que d’autres assemblées). Vous connaissez certains noms : les familles Michel, Ducarme, Maingain, Daerden…. et même au PTB, parti qui se veut proche de la classe ouvrière, les fonctions dirigeantes d’aujourd’hui sont occupées par les enfants des dirigeants d’hier.
Jetons un coup d’œil aux assemblées : il y a les enfants d’hommes ou femmes déjà actifs en politique. Mais il y a aussi les enfants d’avocats (ils sont nombreux), de médecins, de chefs d’entreprises, d’enseignants aussi. Cherchons les fils ou filles d’ouvriers, de chômeurs, ils sont nettement moins nombreux. Proportionnellement, la représentativité n’est pas au rendez-vous. Ce n’est pas inexplicable. Pour avoir envie de se lancer en politique, il faut déjà s’y intéresser. C’est sans doute plus quand on a un certain confort d’existence que quand on est en insécurité permanente. Mais ce biais de représentation doit nous interpeller. Surtout s’il a tendance à s’accentuer.
Quittons la Belgique, regardons ce qui se passe en France, à Paris. Avec une ministre de l’Éducation, mariée au patron d’une grande entreprise (Frédéric Oudéa est le président de Sanofi, après avoir été directeur de la Société Générale), et elle-même issue d’une famille très active dans les médias et la politique (elle a deux éditorialistes politiques comme tante et oncle). Cette ministre plutôt bien née avait scolarisé ses enfants dans une école privée ou les élèves sont triés sur le volet et à qui on offre en enseignement très axé sur la foi catholique, avec des prises positions qui ne sont pas des plus progressistes. La ministre a eu des paroles plus que malheureuses pour l’école publique. Tollé et scandale qui n’en finit plus. C’est tout le problème de ces mécanismes de reproduction sociale : Amélie Oudéa-Castéra est l’incarnation d’une élite qui gère des problèmes domestiques qui sont à mille lieues des difficultés que le citoyen lambda traverse. Quand cette gestion passe par le contournement des normes et le dédain des règles, c’est le pompon.
Quand les dirigeants politiques ne fréquentent que des chefs d’entreprises de haut niveau, des avocats qui sont les stars du barreau, des artistes qui se sont fait un nom, ou des stars des médias, ils s’enferment dans un monde qui n’est plus celui du commun des mortels. Si vous suivez l’actualité, vous aurez noté qu’être présentateur TV ou radio est une position privilégiée pour être bien placé sur les listes. Privilégier l’élite économique, les “fils de”, les personnalités people qui vivent tous dans une bulle en marge de la société : c‘est comme cela qu’une assemblée se coupe progressivement des citoyens qu’elle prétend représenter.