L’édito de Fabrice Grosfilley : renforcer, coordonner, mobiliser
Renforcer, coordonner, mobiliser. Depuis quelques jours, le monde politique est en effervescence autour du phénomène du trafic de drogue. Les fusillades à répétition ont choqué l’opinion. Les services de police et les magistrats ne découvrent pas le phénomène, mais leur travail se retrouve désormais sous le feu des projecteurs. On mesure toute l’ampleur de leur tâche, toute la difficulté aussi, quand faire le guet rapporte plus qu’un boulot honnête, quand un dealer interpellé est immédiatement remplacé par le suivant, et quand les ficelles du trafic sont tirées depuis l’étranger.
Renforcer, coordonner, mobiliser, sont donc trois verbes qui reviennent régulièrement. Renforcer les services de police et les équipes du palais de Justice. Il manque près de 5000 policiers à travers tout le pays (près de 200, par exemple, pour la zone de police Bruxelles Midi qui est en première ligne, mais aussi plusieurs centaines à la police judiciaire fédérale). Il ne suffit pas de dire qu’on va recruter, il faut encore trouver les candidats, les former, puis les convaincre de rester dans la carrière, y compris dans des postes à Bruxelles, qui sont jugés plus contraignants que ceux qu’on peut trouver dans des zones moins exposées. Même constat pour les magistrats, même si le ministre de la justice Paul Van Tigchelt envoie des signaux encourageants. La publication aujourd’hui au Moniteur d’une annonce pour embaucher 100 magistrats suite à une décision de justice est un rappel acide d’un problème qui ne date pas de la semaine dernière.
Coordonner, c’est le seconde verbe. C’est celui qu’emploie le plus facilement la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden. Coordonner les forces de police entre elles, l’action des communes et de la région, dit-elle, avec un sous-entendu lourd de sens : cette coordination serait aujourd’hui insuffisante. Les zones de police bruxelloises n’utiliseraient pas tous les moyens mis à leur disposition de manière optimale. Une insinuation démentie par les chefs de zones et les bourgmestres qui affirment faire tout ce qu’ils doivent, échangeant les informations de manière continue et se plaçant régulièrement sous l’autorité d’un commandement unique, le “gold commander”, quand la situation sécuritaire l’exige. Renforcer ou coordonner, c’est le face à face entre les ceux qui disent manquer de moyens d’un côté et ceux qui veulent une fusion des zones de police de l’autre. Avec le danger que des zones toujours plus grandes ne finissent par éloigner la police du citoyen et que les policiers passent continuellement d’un quartier à l’autre, finissant par n’avoir qu’une connaissance superficielle du terrain sur lequel ils opèrent. Mais avec l’avantage aussi (soyons de bon compte) qu’une grande zone peut mobiliser davantage de moyens pour mener des opérations coup de poing.
Sans doute que renforcer et coordonner ne doivent pas s’opposer mais s’additionner. On a besoin de plus de policiers et de plus de magistrats, et on a aussi besoin de plus de coordination. La convocation pour la semaine prochaine d’un conseil régional de sécurité ( CORES) la semaine prochaine va dans ce sens. Le conseil régional de sécurité associe pour rappel le ministre-président de la région et la haute-fonctionnaire en charge de la sécurité avec les 19 bourgmestres et les 6 chefs de zone, mais aussi le procureur du roi et la direction de la police judiciaire. Les réunir de manière formelle permettra de mettre tout le monde au diapason et de s’assurer que tous partagent la même logique, pour que toutes les zones de police travaillent avec les mêmes méthodes. C’est aussi un signal politique, l’annonce de cette réunion a d’ailleurs été saluée par la ministre de l’Intérieur qui veut y voir un changement d’attitude des autorités bruxelloises.
Faut-il aller encore plus loin et imaginer un plan national de lutte contre le trafic de drogue, ou même un “OCAM de la drogue”, un organe de contrôle et d’analyse de la menace comme cela existe pour le terrorisme ? L’idée est lancée par le bourgmestre d’Ixelles ce matin dans le journal Le Soir. D’autres ont plaidé pour un commissaire en charge des violences urbaines. On rappellera qu’il existe déjà une commissaire aux drogues. Qu’il serait peut-être utile de renforcer sa position et de suivre ses recommandations pour commencer. Ine Van Wymersch a par exemple recommandé des changements législatifs pour permettre certaines poursuites ou des confiscations de biens, il appartient désormais aux députés de donner suite ou pas à ses suggestions.
Indépendamment de l’arsenal répressif, la Belgique ne doit pas faire l’impasse sur l’autre aspect de la question : pourquoi y a-t-il chez nous une telle demande de produits stupéfiants ? Qu’est-ce que qui pousse le consommateur de drogue à vouloir en acheter ? L’option de la répression est-elle la seule à envisager, ou faut-il articuler cette répression avec un accompagnement plus soutenu des consommateurs, voire avec une forme de libéralisation ? Cette réflexion est curieusement absente des débats de ces derniers jours. S’il y a plus de drogue dans nos rues, c’est avant tout parce qu’il y a plus de consommateurs.
Renforcer, coordonner et surtout mobiliser. On voit que cette mobilisation est aujourd’hui réelle. Au niveau policier, chez les magistrats concernés, parmi le personnel politique. Il faut former le vœu que cette mobilisation ne retombe pas. L’été dernier tout le monde voulait renforcer la sécurité aux abords de la gare du Midi. La situation était critique, il fallait sauver le quartier et l’image de la ville. On est 6 mois plus tard. La plupart des promesses, dont celle de créer un commissariat dans la gare, n’avancent pas. Le combat de la sécurité s’enflamme a intervalle régulier surtout à l’approche des échéances électorales. C’est pourtant, nous le savons tous, une mobilisation sur la durée, qui permettra de progresser.