L’édito de Fabrice Grosfilley : pressions (au pluriel) et démission (au singulier)

Fabrice Grosfilley est revenu sur la démission de Pascal Smet ce lundi 19 juin dans Bonjour Bruxelles.

Une pression forte, qui rendait sa démission inéluctable. Ce weekend, Pascal Smet a tiré les leçons de la polémique qui entoure désormais l’organisation du “Brussels Urban Summit” de la semaine dernière, et en particulier de la présence à cette grande réunion internationale du maire de Téhéran, en Iran, et de représentants de la ville de Kazan, en Russie. Une image suffit à comprendre la portée de cette pression. C’était ce vendredi au parlement bruxellois lorsque les autres membres du gouvernement ont quitté l’hémicycle lorsque Pascal Smet devait répondre aux questions des députés régionaux. Le secrétaire d’État s’est retrouvé tout seul sur les bancs du gouvernement, comme si les autres partis de la majorité tenaient à lui signifier qu’ils ne voulaient pas être associés à cet épisode. La solitude du secrétaire d’État a encore été renforcée quand les députés de la majorité ont pris la parole et n’ont pas ménagé leurs critiques. Marie Lecoq pour Ecolo, Marie Nagy pour Défi ont dit leur malaise… En interview, Martin Casier pour le PS (parti frère du Vooruit de Pascal Smet)  parlait de faute même si les torts étaient à partager avec le niveau fédéral. Dans l’opposition, on n’était pas plus tendre. Bref, il n’y avait plus personne à Bruxelles pour défendre le soldat Smet, qui après 48 heures de réflexion a donc préféré faire un pas de côté.

C’est donc bien une démission. Même si Pascal Smet, en bon animal politique, a pris soin d’habiller sa décision. Hier, ce n’est donc pas pour avoir invité des élus russes ou iraniens, qu’il disait avoir décidé de démissionner, puisque cette invitation repose sur les organisateurs du colloque (deux associations de coopération entre grandes villes du monde entier, accompagnées de l’OCDE, ce qui n’est pas rien). Ce n’est pas non plus pour avoir fait pression sur les affaires étrangères dans le but d’obtenir des visas pour ces élus encombrants, puisque officiellement Pascal Smet estime ne pas voir mis une pression si importante que cela, et que la décision finale relevait bien des seules affaires étrangères. Non, dit-il en substance, sa démission interviendrait en raison d’un nouvel élément apparu dans le dossier ce weekend, la prise en charge des frais d’hébergement de ces élus encombrants. Pascal Smet ne l’aurait pas supportée, même si les choses sont rentrées dans l’ordre et que c’est le réseau Metropolis qui prend finalement les frais d’hôtel à sa charge. Personne n’est dupe. Ce “nouvel élément” a surtout comme avantage de permettre à Pascal Smet de faire un pas de côté sans se déjuger par rapport à ce qu’il disait vendredi devant le parlement. Dans les faits, on a compris depuis longtemps qu’il y avait une grande porosité entre les organisateurs du colloque et le cabinet du secrétaire d’État, à tel point que leurs intérêts ces dernières semaines semblaient extrêmement convergents.

Ce mouvement de Pascal Smet redirige désormais toute la pression sur Hadja Lahbib, ministre des Affaires étrangères du gouvernement fédéral et dont les services avaient la responsabilité d’accorder ou pas les visas permettant l’entrée et le séjour des conférenciers sulfureux.  C’est tout le sens des déclarations du secrétaire d’État bruxellois quand il indique qu’il estime que sa manière de faire de la politique est d’assumer ce que font ses collaborateurs. “C’est une question de morale, chez moi, ça existe”, disait-il hier. Ce “chez moi ça existe” lourd de sens et de sous-entendus. Il n’aura pas fallu deux heures pour que la N-VA prenne la balle au bond et réclame à nouveau la démission d’Hadja Lahbib. “Que Pascal Smet prenne ses responsabilités est correct, mais la responsabilité finale reste auprès de la ministre des Affaires étrangères. Elle ne peut rester en place”, twittait notamment Bart De Wever. La N-VA, mais aussi Défi, ou les Engagés, de nombreux partis d’opposition réclament désormais un pas de côté de la ministre MR, dont la prestation jeudi en plénière, qui consistait à rejeter toute la faute sur Pascal Smet et ses interventions, n’a pas convaincu tout le monde dans la majorité, c’est un euphémisme.

Hadja Lahbib fera-t-elle elle aussi ce pas de côté pour assumer sa part de responsabilité ? À l’évidence, la ministre et ses services avaient les moyens de s’opposer à la délivrance de ces visas et ils ne l’ont pas fait. Suivisme ou faiblesse, les députés de l’opposition ont l’embarras du choix pour étriller sa non-intervention.  L’enjeu pour elle est considérable. Parce que Pascal Smet est un animal politique au cuir épais et qui n’en est pas à son premier mandat et à sa première polémique En démissionnant de son poste de secrétaire d’État, il retrouve d’ailleurs une place de député régional et il peut encore espérer rebondir en 2024, que ce soit aux élections régionales (même s’il a annoncé qu’il ne serait pas tête de liste) ou aux communales. Hadja Lahbib, elle, si elle démissionne de son poste de ministre, n’aura plus rien (elle n’est pas élue) et pas vraiment de bilan à faire valoir. Elle ne sera plus qu’une ancienne journaliste qui a occupé de manière éphémère le poste de ministre des Affaires étrangères en remplacement de Sophie Wilmes. À un an d’élections majeures, et alors que votre président de parti a justement été vous chercher dans l’espoir de faire de vous une locomotive électorale, en contrariant même les ambitions qui existaient au sein de votre propre parti, ce serait un fameux désaveu. Pire même, un château de carte qui s’écroulerait.

Fabrice Grosfilley