L’édito de Fabrice Grosfilley : pourquoi les négociations bruxelloises ne peuvent pas démarrer
Vont-elles un jour commencer ces négociations pour former une majorité bruxelloise ? Tant du côté francophone que néerlandophone, la réponse semble être la même : rien n’a bougé ces derniers jours. Les coalitions pressenties ne réussissent pas à entrer en négociation. La réunion que les dirigeants du Mouvement Réformateur entendaient convoquer pour ce mercredi n’a finalement pas eu lieu. Elle a été remplacée par de nouvelles consultations de la société civile.
Pour comprendre où nous en sommes, il est utile de rappeler ce communiqué du Parti Socialiste bruxellois de vendredi dernier. A l’issue d’une réunion de bureau de la fédération régionale, le PS indiquait qu’il n’entrerait pas en négociation sans note de base préalable et rappelait au passage quelques uns de ses « points d’attention » (logement, services publics, etc.). Côté libéral, cette communication avait été perçue comme un moyen de faire monter la pression au delà de ce que pèse aujourd’hui le PS, qui n’est plus le premier parti en Région bruxelloise. Dans les heures qui avaient suivi, le Mouvement Réformateur avait donc répondu, par voie de communiqué à l’agence Belga, qu’il fallait avancer et qu’il convoquerait une réunion pour cette semaine, et qu’on verrait bien qui y venait ou pas. Le PS avait alors enregistré la réponse comme une manifestation d’arrogance d’un supposé partenaire qui ne fait rien pour faciliter son entrée en négociation. Imposer une réunion sans avoir l’accord de ceux qu’on est censé inviter s’apparentait à un coup de force et les rouges n’avaient pas l’intention de s’y soumettre. Résultat : toutes les voitures sont sur la grille de départ mais le commissaire de course ne sait plus où il a rangé son drapeau à damier… alors que les écuries s’impatientent.
En politique, il faut se garder d’interpréter trop vite les communiqués qui tombent. En disant qu’il ne négocierait pas sans note de départ, le PS fait certes monter la pression et dictait ses conditions. Mais il disait aussi que si ces conditions sont rencontrées, il négocierait. Cette partie là du message n’a visiblement pas été entendue au boulevard de la Toison d’Or, siège du Mouvement Réformateur.
La question d’une note de base n’est pas un détail. Elle est censée indiquer dans quelle direction s’engagera une négociation. Celui qui la rédige y mettra donc les éléments essentiels sur lesquels il ne transigera pas. Mais il doit aussi veiller à y mettre l’un ou l’autre éléments qui permettront à la partie adverse (mais potentiellement partenaire) de savoir que ses priorités ont aussi été entendues et qu’on ne s’engage pas dans un programme à sens unique. Plus la note de départ est équilibrée plus les partenaires auront de raison de s’engager. Moins elle l’est, plus ils auront de raisons de refuser d’entrer en négociation. C’est évidement un bras de fer où la recherche du point d’équilibre suppose de la bonne foi et un minimum de bonne volonté collective. Mais celui qui est dans le rôle du formateur n’a pas d’autre choix que d’amorcer la pompe en faisant de premières concessions.
D’après nos informations, une telle note existe bel et bien et a pu être transmise aux partis concernés. Mais elle a été jugée floue et inconsistante. “Une fausse note” en quelque sorte, et dans tous les sens du terme, qui ne disait rien de la réalité des politiques envisagées. Le PS en réclamait donc une autre, plus détaillée avant de se prononcer. L’épisode illustre bien le manque de confiance qui paralyse les discussions. Si on le sentiment d’un coté que la note ne dit pas grand chose, on redoute de l’autre qu’en dire trop par écrit soit de nature à faire capoter le dialogue, voire pire, à ce que tout cela se retrouve dans la presse.
Au delà de la confiance qui reste à établir entre David Leisterh, Christophe De Beukelaere, Ahmed Laaouej et leurs délégations respectives (la négociation est un sport d’équipe qui se décline en groupes de travail et sous-groupes), il faut aussi noter le rôle que joue Georges-Louis Bouchez dans ces discussions. D’après nos informations, il a bien participé à la seule réunion formelle qui a réunit MR et PS ces dernières semaines. Autant on sait que David Leisterh et Ahmed Laoueej peuvent échanger facilement, autant les contacts avec le président du MR peuvent (sur la place publique en tout cas) paraître plus rugueux. Les premières déclarations post-électorales de Georges-Louis Bouchez attaquant tant Ahmed Laoueej qu’Elke Van Den Brandt n’étaient pas de nature à permettre la sérénité.
Ces sorties médiatiques de l’homme fort du MR ont pu irriter dans le passé ses partenaires de gouvernement au Fédéral ou à la Région wallonne… mais si cette culture de « participe-opposition » n’est pas toujours simple avec un gouvernement déjà formé, elle pourrait être mortelle dans un processus de formation en cours. Le risque est d’autant plus grand que les Bruxellois considèrent que le Montois n’a pas encore démontré une connaissance fine des enjeux régionaux et qu’il tarde à adopter un point de vue moins wallon-centré. Enfin la volonté du président du MR d’être présent à toutes les discussions pose en elle-même une question de timing : difficile de suivre en profondeur tous les niveaux de pouvoir quand tout se chevauche… et il n’y a rien de pire qu’un partenaire qui revient sans cesse sur ce qui a été acté lors d’une séance précédente parce qu’il n’y participait pas.
A ce stade des non-discussions, on a le sentiment que David Leisterh est à cheval sur deux méthodes de travail aux stratégies diamétralement opposées. La première consiste à aller vite et à vouloir mettre en place des politiques de ruptures qui découleraient de sa victoire électorale. Parce que former une majorité est un message politique en soi. C’est la manière mise en place en Wallonie par Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot. L’autre méthode consiste à prendre le temps d’écouter, et à faire l’essentiel du chemin pour aboutir à des compromis (c’est le paradoxe du premier parti qui est celui qui doit « faire l’accord » et donc assumer des compromis pas toujours agréables). En voulant forcer une réunion qui n’aura pas lieu, David Leisterh était dans la méthode Bouchez. En lançant un nouveau tour de consultation de la société civile pour écouter le terrain, tout en gagnant du temps pour des contacts informels, il est dans la méthode de formation classique que nous avons connue dans les précédentes formations de gouvernement. En reconnaissant à mon micro hier qu’il n’y aurait pas d’accord avant le 21 juillet et même peut-être pas de négociation à cette date (questions et réponses peuvent être interprétées aussi de cette manière là) le formateur libéral reconnaissait qu’on faisait du surplace. Et c’est sans compter sur une intervention des Engagés (qui devront bien se faire entendre à un moment ou à un autre s’ils veulent éviter l’image d’une droitisation accélérée et d’une absorption par le MR de leur mouvement) et sur ce qui se passe du côté néerlandophone (où l’idée de rappeler Fouad Ahidar commence à circuler).
Si on se réfère à ce que nous avons connu en Région bruxelloise il y a 5 ans (j’ai ce privilège d’être un journaliste âgé avec un peu d’expérience et quelques carnets de note), Laurette Onkelinx et Rudi Vervoort avaient travaillé en 4 étapes. Pendant la première, ils avaient rencontré tout les partis, gagnants ou perdants de l’élection. Puis ils s’étaient lancés dans une série de consultations de la société civile tout en ayant de premières discussions informelles (deuxième étape). Ils avaient ensuite rédigé un document de 3 pages qui invitait officiellement Ecolo et Défi à entrer en négociation (3eme étape, on était le 14 juin 2019). Cette note (dont l’intitulé était « répondre à l’urgence sociale et à l’urgence climatique : une approche intégrée des enjeux urbains à l’horizon 2025 ») comprenait déjà l’essentiel de la future politique gouvernementale avec des paragraphes sur le logement, l’environnement, l’emploi et était présenté comme un “document de convergences”. La 4e étape, à laquelle serait associée les partis néerlandophones étant la rédaction de l’accord de gouvernement à proprement parler.
Il est probable que le PS aura un peu de mal à sortir de ce schéma méthodique qu’il connaît et pense pouvoir en partie maitriser. De même qu’il est probable que le MR ait la volonté de justement imposer sa propre méthode de négociation. S’ils veulent s’en sortir et vraiment négocier il faudra bien que l’un des deux change de méthode. Ou plus vraisemblablement que les deux partis fassent un pas l’un vers l’autre (l’été et sa moindre exposition médiatique peuvent y aider), et qu’ils puissent se démontrer l’un à l’autre qu’ils pourront être des partenaires loyaux ayant la volonté de négocier sans arrière-pensées communales puis de gouverner ensemble, ce qui implique un minimum de confiance mutuelle. Pour l’instant, on n’y est pas.