L’édito de Fabrice Grosfilley : pour les débats, il faut des candidats…
Organiser des débats, proposer des interviews, oui mais avec qui ? C’est la question que nous sommes parfois amenés à nous poser en tant que journalistes. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’est pas toujours simple d’avoir des invités sur un plateau de télévision ou dans une émission de radio, même en période électorale. Nous ne demandons pas mieux que d’éclairer le débat, d’exposer les enjeux, de faire la distinction entre le vrai et le faux, de dénicher les contradictions des uns et des autres, de permettre aux différents points de vue de s’exposer ou même de s’affronter, bref, de jouer notre rôle de facilitateurs du débat démocratique. Mais pour cela, il faut que les hommes et les femmes politiques acceptent de jouer le jeu et répondent positivement à nos invitations.
Alors, on sait bien que BX1 n’est pas TF1 et que notre audience est relative. Mais quand même, 88 000 Bruxellois nous écoutent en radio chaque jour, 150 000 nous regardent chaque jour en télévision, ce n’est pas rien. Depuis toujours, on sait que les hommes et les femmes politiques privilégient pour leur communication des supports qui sont performants dans leur propre bassin électoral. On sait par exemple qu’avoir des hommes ou des femmes politiques flamands est difficile pour des médias francophones. Bart De Wever n’est jamais venu à BX1 par exemple. Annelies Verlinden, la ministre de l’Intérieur, rechigne également à se déplacer dans nos studios, alors qu’en terme de sécurité, l’actualité bruxelloise de ces derniers mois le justifiait amplement (elle nous accorde des interviews en reportage). Côté francophone, c’est plus facile : des ministres fédéraux comme David Clarinval, Pierre-Yves Dermagne, des présidents de parti comme Paul Magnette ou GL Bouchez n’hésitent pas à venir dans notre matinale. On peut signaler aussi que certains flamands jouent le jeu, comme Vincent Van Quickenborne ou Théo Francken par exemple.
Et puis, il y a des absents. Des personnalités qui, même en pleine campagne électorale, ne s’expriment pas sur nos antennes. On peut citer Sophie Wilmès par exemple, qui viendra pour le débat européen mais qui ne nous a plus accordé d’entretien depuis des mois. Officiellement, c’est une question d’agenda et de disponibilité, associés à une volonté de prendre du recul après les épreuves personnelles que l’ancienne première ministre a traversé. Officieusement, on se doute bien que la libérale, qui bénéficie d’une image extrêmement forte et positive dans l’opinion publique, n’a surtout pas envie de l’écorner. Avoir la parole rare, c’est se mettre au-dessus de la mêlée, et ça évite aussi que cette image positive soit salie par l’une ou l’autre polémique. Sophie Wilmès n’est pas la seule à garder le silence. On notera que Youssef Handichi, autre exemple, ne s’est quasiment plus exprimé depuis qu’il a changé de parti. Une conférence de presse et plus d’interviews. On aurait pourtant beaucoup de questions à lui poser. Même chose pour Hadja Lahbib, qui s’exprime, c’est vrai, en tant que ministre des Affaires étrangères de manière assez régulière, mais qui n’accorde que peu d’interview sur sa vision de la Région bruxelloise où elle est pourtant candidate. Savoir quel serait son projet pour Bruxelles, pourquoi elle a accepté de se présenter à l’élection régionale, quelle est sa vision de la mobilité, du logement, sa position sur le port du foulard dans l’administration… sont autant de questions que nous n’avons pas pu lui poser. Je ne suis évidemment pas le seul journaliste à regretter que certains candidats ne jouent pas le jeu de l’interview et du débat. Mon confrère Martin Buxant, par exemple, a tweeté ce matin son regret que Julie Taton, candidate dans le Hainaut, refuse systématiquement ses demandes d’interview.
À l’inverse, il y a aussi des candidats qui sollicitent les médias, bien entendu. On reçoit des propositions, des sollicitations. Pourquoi ne pas inviter une telle personne, pourquoi ne pas faire un reportage sur celle-là ou celle-ci ? On y donne rarement suite, pour être franc. Contrairement à ce que certains pensent, c’est le journaliste qui choisit qui il interview et lui seul, et nous avons déjà pas mal d’idées. Aussi parce que, pour éclairer l’auditeur ou le téléspectateur, nous cherchons à proposer la meilleure affiche possible. C’est moins une question d’audience que de poids politique. La parole d’un président de parti ou d’un ministre sortant a évidemment plus de poids que celle d’un candidat ou d’une candidate qui se présente pour la première fois.
Cela n’empêche pas que nous donnions la parole aussi à ceux qui apportent du sang frais en politique. Nous avons, par exemple, consacré une série dans Bonjour Bruxelles consacrée aux plus jeunes candidats, mais nous veillons dans la dernière ligne droite à donner la parole à des candidats de poids équivalent, des têtes de listes ou des personnalités suffisamment bien placées pour qu’on puisse penser qu’ils ont une chance sérieuse d’être élus. Et bien sûr, nous veillons à la diversité des opinions. À l’exclusion des partis d’extrême-droite, susceptibles de tenir des propos qui tomberaient sous le coup de la loi contre le racisme et le négationnisme, nous invitons toutes les formations, de la droite à la gauche, nous veillons aussi à équilibrer les temps de parole. Alors, quand des candidats ou des candidates refusent systématiquement nos invitations pour des raisons d’agenda, entre autres, ils ne nous facilitent pas la tâche. Et ils empêchent surtout l’électeur d’avoir une information complète et finalement, d’avoir une vision bien claire de la personnalité pour laquelle il s’apprête à voter.
Fabrice Grosfilley