L’édito de Fabrice Grosfilley : pas de refinancement, pas de fusion
C’est donc non. Un non franc et massif confirmé successivement par deux instances hier : Brulocalis, l’association des communes de la Région bruxelloise, et la conférence des bourgmestres. Ces deux instances refusent le projet de fusion des zones de police que le gouvernement fédéral tente d’imposer aux communes bruxelloises. Refus exprimé à la quasi-unanimité. Du côté de Brulocalis, il y a eu une abstention : une échevine Groen qui représentait la commune de Saint-Gilles. Du côté de la conférence des bourgmestres, les 19 bourgmestres ont voté comme un seul homme, y compris les bourgmestres des Engagés ou du Mouvement réformateur. Avec, toutefois, quelques nuances dans les justifications. Certains bourgmestres MR disent, par exemple, ne pas être opposés à une fusion par principe, mais estiment que le projet qui leur est aujourd’hui proposé est juridiquement bancal. Que la disparité de traitement entre la Région bruxelloise, la Flandre et la Wallonie n’est pas acceptable. Que le vice-gouverneur n’a pas à siéger dans l’organe de gestion de la zone. Ou encore que la question du financement doit être réglée avant de penser à fusionner les six zones de police.
À ce stade donc, les Bruxellois demandent au ministre de l’Intérieur de retirer son avant-projet de loi. Ils attendent avec une certaine gourmandise l’avis du Conseil d’État, qui pourrait bien leur donner raison. Le fait que les bourgmestres Engagés et aussi les bourgmestres libéraux de la Région fassent bloc avec les socialistes ou DéFI doit être entendu comme un signal d’alarme pour le ministre de l’Intérieur et, plus largement, pour le gouvernement fédéral. Non, leur projet ne convainc pas les Bruxellois. Inutile, pas justifié, mal rédigé, pas financé… une usine à gaz, disent les plus critiques.
Les reproches peuvent être classés en trois catégories. La première, de nature juridique, vise le caractère discriminatoire du projet. On impose une fusion des zones à la Région bruxelloise et à elle seule. Alors que les six zones de la Région font déjà partie des plus grandes du pays, alors qu’il existe quantité de très petites zones de police qu’on laisse exister en Flandre ou en Wallonie. Les Bruxellois pointent aussi la faiblesse des justifications censées motiver le projet. Pas d’étude crédible, et au contraire, des chefs de corps ou des magistrats qui jugent tout cela au minimum inutile, au pire contre-productif. Et les bourgmestres de rappeler que mettre la nécessité de cette fusion sur le dos des fusillades ou du trafic de drogue est particulièrement malhonnête : c’est la police fédérale qui devrait être en charge du grand banditisme et pas les polices locales. Le fédéral, qui a tardé à financer la police judiciaire et le système judiciaire, est donc le principal responsable de la situation actuelle. Mettre la pression sur les communes est un écran de fumée.
Deuxième catégorie : le caractère opérationnel de la réforme envisagée. La super-zone de police, qui serait la plus grosse du pays, serait en l’état actuel du projet dirigée par un collège de six bourgmestres. Quatre sièges qui iraient logiquement aux bourgmestres des grandes communes, deux qui seraient réservés à de petites communes. Il faut savoir que le poids des communes est calculé en fonction de leur dotation budgétaire. Les petites communes craignent d’être régulièrement minorisées, et de ne pas pouvoir réellement s’opposer à un transfert progressif des effectifs policiers vers des zones jugées plus prioritaires. Autre critique : la présence du ministre-président ou du vice-gouverneur dans l’instance de décision. « Ils n’ont rien à faire là », disent les bourgmestres. La gestion des zones de police, ce n’est pas dans leurs compétences, mais dans les leurs.
Troisième catégorie de reproche : le financement. C’est sans doute là que Bernard Quintin donne le plus la matraque pour se faire battre. Les zones de police bruxelloises sont sous-financées, on le sait depuis longtemps. Pour corriger cette injustice, il faut revoir la norme de financement, qu’on appelle la norme KUL, du nom de l’université qui l’a mise au point. C’est dans l’accord de gouvernement. Mais sur ce point, le gouvernement fédéral et le ministre de l’Intérieur n’ont pas avancé. Et on craint même qu’ils n’avancent jamais, car il va falloir retirer des moyens à des communes flamandes ou wallonnes pour les rediriger vers Bruxelles. Le deal n’est donc pas tenu. Les bourgmestres ont rappelé un mot hier : « consubstantiel ». La réforme doit être consubstantielle à un refinancement. L’un ne va pas sans l’autre. L’un ne peut pas arriver après l’autre. Sinon, ce serait acheter un chat dans un sac. Et ça, aucun bourgmestre n’est prêt à l’accepter.





