L’édito de Fabrice Grosfilley : Olivier et Bernard
Dans son édito de ce mardi 16 janvier, Fabrice Grosfilley est revenu sur les conflits au sein de DéFI.
S’il y a un reproche qu’on ne peut pas faire à Olivier Maingain, ce serait celui de tenir un langage aseptisé, formaté (on dit parfois langue de bois) et en tout temps prévisible. Depuis qu’il est apparu sur la scène politique (il a été élu pour la première fois conseiller communal à la Ville de Bruxelles en 1988, cela va donc faire 36 ans de politique active), l’ancien président du FDF nous a habitués à son style. Précis sur le fond, brillant dans la forme, avec un vocabulaire choisi, un débit rapide et des formules qui font mouche. Olivier Maingain est avocat de formation et, sur le terrain politique, il n’a jamais perdu le sens de l’éloquence et le goût de la plaidoirie. Un savoir-faire qu’il a longtemps mis au service de la défense de la cause francophone, avec un goût de l’escrime verbale, qui fait qu’à la fin de l’envoi, il touche.
Aujourd’hui, Olivier Maingain n’est plus président de parti. Le FDF (Front Démocratique des Francophones, pour les plus jeunes) est devenu DéFI (sous sa présidence). Son parti se cherche un autre positionnement, la seule défense des francophones n’est plus suffisante pour exister politiquement. Il faut un projet. DéFI le construit du côté du centre-droit. Un cocktail qui mêle le libéralisme économique, la défense de l’État de Droit et des grands principes comme la séparation des pouvoirs. Le tout, assaisonné d’un positionnement de plus en plus ferme sur la laïcité, version neutralité exclusive. Olivier Maingain est-il à l’aise avec ce positionnement, peut-être ou peut-être pas, mais il ne lui appartient plus de dicter la ligne de conduite du parti. Ce qui ne l’empêche pas de conserver évidemment sa liberté de pensée et une certaine liberté de parole.
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Un ancien président qui s’exprime, dans un parti, cela peut faire mal. Pour la simple raison qu’il peut exprimer une opinion légèrement différente que celui qui lui a succédé et que, quel que soit son discours, cela sera toujours perçu comme une dissonance, voire une remise en cause de l’équipe dirigeante suivante. Ce matin, dans la Libre Belgique, Oliver Maingain décoche donc une flèche empoisonnée à la tête de liste de son propre parti pour les élections régionales, Bernard Clerfayt. Attention, Olivier Maingain ne reproche pas à Bernard Clerfayt d’être tête de liste à la Région. Pas du tout même. “Il est tout à fait normal qu’un ministre sortant veuille poursuivre son travail. Son expérience sera très utile au cœur de la tempête institutionnelle qui s’annonce après les élections. Il a en effet un bilan tout à fait honorable comme ministre, et il dispose d’une connaissance des arcanes de la Région“, explique-t-il en parlant du ministre bruxellois de l’Emploi. Mais, et tout est dans le “mais”, Olivier Maingain estime aussi que Bernard Clerfayt gagnerait à ne s’investir qu’à la Région. Sous-entendu, la Région ou la commune : il faut choisir. Bernard Clerfayt ne peut pas être tête de liste au Parlement régional (et implicitement candidat-ministre) en juin, et tête de liste et candidat-bourgmestre pour l’élection communale à Schaerbeek en octobre. Et parlant de sa propre situation à Woluwe-Saint-Lambert, Olivier Maingain précise sa pensée : “Je ne trouve pas correct de dire : ‘J’aimerais bien rester bourgmestre, mais si je n’en suis pas certain, je vais quand même m’assurer d’un mandat à la Région ou au Fédéral’. Ces pratiques ouvrent une faille dans laquelle s’engouffrent les partis extrêmes.”
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On pourrait être tenté de voir dans cette peau de banane une question de personne. Toute leur vie politique durant, Olivier Maingain et Bernard Clerfayt auront été en compétition. Cela a commencé pour prendre la présidence des jeunes FDF, cela ne s’est jamais démenti ensuite. On pourrait aussi y voir une querelle de famille. La tête de liste de Bernard Clerfayt était contestée par Fabian Maingain, le fils d’Olivier. Ce serait une analyse un peu courte. Il y a déjà longtemps que Fabian Maingain vole de ses propres ailes, et il n’est pas sûr que les deux Maingain, père et fils, soient constamment sur la même longueur d’onde ou que l’un instrumentalise l’autre.
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Ce que dit Olivier Maingain est plus important que cela. Il met le doigt sur un reproche que le citoyen est en droit de faire aux hommes et femmes politiques de 2024. Cette mauvaise habitude de se présenter là où l’on fera le plus de voix, même si on n’y siègera pas. Cette propension à accorder la priorité à l’efficacité électorale au détriment de la cohérence de l’action politique est présente dans tous les partis. Ce sont des ministres fédérales qui se présentent à la Région alors qu’elles n’en ont pas envie. Un chef de groupe à la Région qui se retrouve sur une liste fédérale ou l’inverse. Des ministres de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui filent à l’Europe ou à la Chambre. On a le droit de changer de niveau de pouvoir. Un déroulement de carrière, ce n’est pas linéaire. Mais le monde politique est au-delà des questions de parcours individuels. Il est dans un grand tohubohu électoral au sein duquel tous les niveaux de pouvoir se mélangent, où il est même difficile de savoir qui est responsable de quoi. Plus personne ou presque ne défend son bilan devant l’électeur. On se contente de faire le plein des voix. Est-ce qu’on siègera là où on est élu ou non ? On verra. Votez pour moi d’abord, je choisirai ensuite. Nous ne sommes pas sûrs que cela soit une manière digne de faire de la politique. On ne peut pas s’étonner de voir les citoyens se détourner de la politique ou émettre un vote de protestation quand la stratégie l’emporte à ce point sur les programmes et l’action gouvernementale. Le monde politique est responsable de ce qui se passe dans son arrière-cuisine, surtout quand les portes sont grandes ouvertes. Quand la ficelle est trop grosse et que le plat qu’on lui sert manque à ce point de cohérence, l’électeur peut penser, à raison, qu’il est le dindon de la farce.
Fabrice Grosfilley