L’édito de Fabrice Grosfilley : négociations bruxelloises, 10 points à retenir de la nouvelle donne

Dans son édito de ce samedi 22 février, Fabrice Grosfilley revient sur la formation bruxelloise.

Une page se tourne, un nouveau chapitre démarre. On n’oserait pas écrire que ce vendredi soir les négociations bruxelloises ont pris un tournant décisif. On se montrera modestement optimiste en signalant que la séquence a d’abord le mérite de mettre un terme à ce lent pourrissement qui finissait par ressembler à une longue agonie. En ne voulant considérer qu’une piste, celle qui permettait à la N-VA d’être à bord malgré l’hostilité du PS, les deux formateurs et leurs alliés se sont enfermés dans une logique négative qui ne pouvait conduire qu’à la défaite de l’un des protagonistes. Il fallait que le PS cède ou il fallait exclure la N-VA. À défaut de l’une de ces deux options, c’est donc le/les formateur(s) qui ont été contraints de se sacrifier.

Il n’aura fallu qu’une heure et demie pour solder cet interminable bras de fer entamé à l’automne. À 17h25, David Leisterh annonce par communiqué qu’il fait un pas de côté et désigne le PS comme reponsable du blocage, l’appelant à prendre le relais. À 18h11, la fédération bruxelloise du PS indique, également par communiqué, qu’il n’en est pas question et que seule une initiative portée par des partis ayant la confiance de tous pourra être couronnée de succès. À 18h50 paraît la version francophone (la version néerlandaise avait quelques minutes d’avance) d’un communiqué conjoint d’Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer indiquant qu’ils se proposent comme informateurs dans le but d’identifier les blocages et relancer les négociations, en passant si nécessaire par une phase de médiation. Bien sûr, ces 3 communiqués en moins de 90 minutes ne tombent pas du ciel. Ils sont l’aboutissement de plusieurs semaines de frustrations, la conclusion logique de cette « initiative de la dernière chance » lancée 2 semaines plus tôt et la cristallisation d’intenses contacts tous azimuts menés ces derniers jours.

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Que pouvons-nous retenir de la séquence ?

  1. La piste associant MR-Engagés-PS d’un côté au quatuor Groen-NVA-Open VLD-Vooruit de l’autre conduit à une impasse. Ceux qui voudront s’entêter à l’emprunter à nouveau s’exposeront à la même issue fatale.
  2. Le MR a renoncé in extremis à organiser une conférence de presse pourtant annoncée (même s’il n’y avait pas eu d’invitations formelles, de nombreuses rédactions étaient au courant et plusieurs télévisions avaient déjà installé leurs caméras). On peut y voir le souci d’une communication modérée pour ne pas jeter excessivement d’huile sur le feu, ou la crainte que Georges-Louis Bouchez et David Leisterh ne puissent pas y tenir un discours parfaitement aligné.
  3. La famille libérale associée à la N-VA aurait souhaité que l’on force le PS à prendre l’initiative en le désignant explicitement comme seul responsable de la suite des événements et lui faire porter la responsabilité d’un nouvel échec. Il n’y a pas eu de consensus sur ce point, ce qui a forcé le MR à communiquer seul, sans le soutien des autres formations.
  4. Le Parti Socialiste a refusé de prendre la main, car il apparaît à ce stade toujours isolé et qu’il n’avait aucune raison de penser qu’Ahmed Laaouej pourrait réussir là où David Leisterh avait échoué. C’était la chronique d’un nouvel échec annoncé.
  5. Entre le pôle libéral-nationaliste (qui à ce stade semble soudé) et le PS, les partis « neutres » ont fait le choix de s’affranchir et de forcer le destin pour permettre un nouveau départ, incarné par Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer. Si elle est présentée comme une initiative individuelle, cette mission d’information a, en coulisse, reçu l’approbation de la plupart des formations politiques.
  6. On parle ici d’une mission d’information, pas encore de la formation d’un gouvernement. En indiquant que tous les partis (sauf le VB) seront consultés dès lundi, les deux informateurs envoient le message qu’il faut rouvrir le jeu (et les Engagés montrent l’exemple puisqu’ils avaient été les premiers à exclure Team Ahidar). C’est une première étape, le travail sera encore long.
  7. La réparation des sièges est telle qu’il paraît peut probable de trouver une majorité qui n’associerait pas le MR (21 députés) et le PS (17). Toutes les autres formules sont politiquement alambiquées. Il faut donc logiquement partir de ce socle MR-PS pour construire la prochaine coalition. Côté francophone, il semble assez évident d’y associer les Engagés. Il reste à trouver la formule qui, du côté néerlandophone, permettra aux deux principaux partis francophones de s’y retrouver. MR et PS ne peuvent plus jouer l’un contre l’autre s’ils veulent aboutir à un accord.
  8. Les questions d’inimitiés personnelles et les stratégies partisanes (souvent nationales) ont joué ces derniers mois un très grand rôle. Georges-Louis Bouchez et Ahmed Laaouej semblent dotés de caractères peu compatibles. Ils se grandiront en ramenant le débat à ses justes proportions. La remarque vaut aussi pour certains négociateurs néerlandophones. On débat ici de l’avenir de Bruxelles, pas de ce qui se passe ailleurs ou au sein des partis. C’est le service rendu aux Bruxellois qui doit être le seul moteur des négociateurs.
  9. David Leisterh, interrogé sur RTL n’a pas abondé dans le sens d’une mise sous tutelle de la Région bruxelloise, menace brandie au Parlement fédéral par son propre président de parti. Œuvrer à la mise sous tutelle d’une région qui compte 1,2 million d’habitants et concentre une part importante de la richesse du pays serait un affront à la démocratie.
  10. Le fait qu’ils aient « fait un pas de côté » ne prive pas David Leisterh et sa formation politique de leur incontestable victoire électorale. Si les négociations aboutissent à un accord et que le MR en fait partie, David Leisterh aura toujours la légitimité démocratique nécessaire pour devenir le prochain ministre-président.

Fabrice Grosfilley – Photos : Belga