L’édito de Fabrice Grosfilley : l’impuissance des pouvoirs publics
Les pouvoirs publics, ont-ils les moyens d’intervenir dans le dossier Audi ? Peuvent-ils vraiment avoir une influence sur le cours des choses quand il s’agit d’un grand groupe privé dont le siège social et les organes de décision se trouvent à l’étranger ? Depuis 48 heures, vous l’aurez sans doute noté, les déclarations politiques se font plutôt rares. La “task force” mise en place par Alexander De Croo reste muette. Il y a une forme de fatalité, voire de résignation au niveau de la communication. Les plus optimistes y verront de la discrétion dans l’espoir de sauver ce qui peut encore l’être.
En réalité, nos pouvoirs publics n’ont que peu de leviers en main. Les problèmes d’Audi Forest sont ceux que connaissent tous les fabricants d’automobiles. On peut les lister : le coût de la main-d’œuvre est plus élevé en Europe occidentale qu’en Asie ou en Amérique du Sud, et il sera difficile, pour ne pas dire impossible, de rivaliser avec le salaire d’un travailleur chinois, brésilien ou indien. Le continent européen n’est plus « the place to be » du point de vue de la demande non plus. Les plus gros volumes se vendent désormais en Asie ou en Amérique. Les constructeurs ont donc tout intérêt à relocaliser leurs usines à proximité de ces nouveaux consommateurs. Enfin, les constructeurs européens ont peut-être raté le virage vers l’électrique. Des modèles qui arrivent trop tard et qui sont surtout trop chers, alors que l’Américain Tesla, pour le haut de gamme, ou les constructeurs chinois ou coréens, pour les véhicules bon marché, se sont déjà constitués des bastions.
L’avenir du site de Forest est donc plus qu’incertain. La direction a beau répéter qu’elle ne travaille pas sur le scénario d’une fermeture pure et simple, elle tarde à donner des pistes concrètes de reconversion. Audi est le propriétaire des murs et des machines. Il a donc la main. Est-ce que la firme allemande peut consentir à vendre le site à un autre constructeur qui viendrait d’Asie ? Ce serait l’hypothèse la plus favorable pour les travailleurs de Forest. Ce n’est probablement pas celle que privilégiera le groupe VW. Quand vous devez réduire les coûts, le volume d’emploi et vos propres bénéfices, ce n’est pas pour faire entrer le loup asiatique dans la bergerie européenne. Les hypothèses les plus crédibles sont aujourd’hui la production de pièces détachées, pour le groupe allemand ou pour d’autres constructeurs. La production de batteries pourrait être une autre piste. On peut aussi envisager le recyclage de batteries en fin de vie. Tout cela est flou. Et surtout, tout cela ne garantit pas le volume d’emploi actuel. On parle de quelques centaines de travailleurs, alors qu’il y en a 3000 aujourd’hui. Et il ne faut pas oublier les sous-traitants, qui, dans tous ces cas de figure, risquent de passer à la trappe.
Revenons à notre question de départ : que peuvent faire les pouvoirs publics face à ce revers social et économique ? Aider Audi, tenter d’améliorer le contexte réglementaire, faciliter le travail de nuit, faire diminuer le coût du travail en jouant sur la fiscalité, détaxer les investissements dans la recherche ou l’acquisition de nouvelles machines, investir dans les programmes de formation qui ont permis aux ouvriers de passer du thermique à l’électrique… Tout cela a été fait depuis longtemps. On peut se poser la question de savoir s’il est juste que les pouvoirs publics investissent des sommes importantes pour le compte d’une entreprise privée qui demande de l’aide au public au nom de la sauvegarde de l’emploi, mais qui conserve l’intégralité de ses bénéfices. Cela peut évidemment poser question. Mais au-delà de ces considérations idéologiques, sur le long terme, cette stratégie est perdante. Dans la course aux meilleures conditions et aux salaires les plus bas, c’est toujours l’Asie ou l’Amérique qui gagne. On pourrait évidemment envisager que les pouvoirs publics s’impliquent davantage. Qu’ils montent au capital ou reprennent la main. La Région wallonne ou l’État fédéral l’ont fait dans le passé, en prenant des parts dans La FN Herstal par exemple, ou dans les grandes entreprises de la sidérurgie. La stratégie du portage, qui consiste à soutenir une entreprise en difficulté pour passer le relais une fois la tempête passée, est inenvisageable pour Audi. D’abord, parce qu’on ne voit pas l’éclaircie arriver dans le domaine de la construction automobile. Ensuite, parce que la région bruxelloise n’a pas les moyens de se lancer dans ce type d’investissement.
Aujourd’hui, à Audi Forest, la réponse est donc avant tout sociale. Il va falloir accompagner les travailleurs, permettre la mise à la pension anticipée des plus âgés et aider au reclassement des plus jeunes. C’est le sens de la rencontre que Bernard Clerfayt aura aujourd’hui avec Agoria et BECI, les organisations patronales. Avec elles, il s’agit d’identifier les entreprises qui pourraient reprendre les ouvriers d’Audi Forest, et de mettre sur pied les parcours de formation qui permettront de passer d’Audi à un autre employeur. Cela peut paraître peu, cet accompagnement social. Mais c’est sans doute, en réalité, le seul levier dont disposent réellement les pouvoirs publics.
Fabrice Grosfilley