L’édito de Fabrice Grosfilley : les ambitions personnelles et la stratégie partisane

Dans son édito de ce mardi 09 janvier 2024, Fabrice Grosfilley revient sur la création des listes électorales.

2024 sera donc une année électorale. Et la grande bagarre a bel et bien commencé. Avant de s’affronter les uns les autres, les partis politiques doivent d’abord établir leur propre liste. Ce n’est pas juste un échauffement. C’est d’abord un enjeu stratégique : mettre les bonnes personnes à la bonne place, c’est se donner le maximum de chances de séduire l’électeur pour faire un bon score et conquérir plus de sièges. Certains candidats ou candidates sont plus crédibles que d’autres. D’autres font des gros scores dans certains quartiers, mais pas ailleurs. Il arrive que des élus incarnent une problématique à la une de l’actualité pour une certaine période, mais soient complètement insipides lorsqu’ils parlent d’autres choses que leur propre spécialisation. Que certains touchent davantage une communauté précise, qu’elle soit géographique, philosophique ou professionnelle : un enseignant parle plus facilement au cœur des enseignants, un ouvrier trouvera les mots pour toucher les classes populaires, un avocat sera peut-être plus éloquent si on évoque la réforme de l’État ou de l’impôt des sociétés. Tout dépend de l’électorat que l’on vise. Il faut aussi tenir compte de la capacité à mener une campagne, serrer des mains et participer à des débats.

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Et puis, il y a les querelles de personnes. On aurait tort de sous-estimer ces questions d’influences personnelles. Elles sont souvent primordiales au moment de faire les listes. La couche de stratégie s’additionne donc à une couche d’ambitions individuelles et de rapports humains parfois compliqués (les politiques partagent avec les journalistes et certains artistes une hypersensibilité aux questions qui touchent leur ego). Il y a des courants, des familles, des clans. Et, parfois, ces alliances ou ces inimitiés prennent le dessus sur les orientations politiques. C’est parce que je veux faire obstacle à un candidat que je n’aime pas que je suis finalement capable de soutenir un candidat qui ne pense pas comme moi. Barrer la route de mon rival est parfois plus important que le score final. La jouer individuel au détriment du jeu collectif, la tendance existe dans tous les partis, et derrière l’idéal du débat ouvert et respectueux entre camarades/compagnons/collègues. Il faut parfois une direction ne reculant pas devant une forte persuasion pour pouvoir calmer les ambitions, dépasser les clivages, apaiser les tensions, faire taire les voix discordantes et se présenter les plus unis possible lorsque arrive le moment de l’élection.

En ce début de janvier, nous en sommes donc là : au moment où les partis confectionnent leurs listes. Certains sont plus avancés que d’autres et ont déjà fait connaitre leur tête de liste, parfois leur duo de tête. C’est le cas du PS, des Engagés et d’Ecolo qui avaient terminé l’exercice dans le courant du mois de décembre. D’autres sont en train de le faire, comme le MR, DéFI ou le PTB, travail en cours, avec ce qu’il faut de surprises ou de tensions pour que la presse en fasse ses choux gras.

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Pour faire une bonne liste, il faut donc de bons candidats, et aussi des personnalités susceptibles d’attirer la lumière des projecteurs. La notoriété aide. Le fait de se présenter à un endroit où on ne vous attend pas peut y contribuer, venir de la société civile, avec des compétences et un regard neuf est un atout très recherché. Élisabeth Degryse pour les Engagés (elle quitte la mutualité chrétienne pour être candidate à la chambre), Estelle Ceulemans pour le PS (qui quitte le syndicalisme – elle était présidente de la FGTB Bruxelles – pour être candidate au Parlement Européen) obéissent à cette logique d’ouverture. L’annonce imminente du ralliement de Michel Claise à DéFI aussi. C’est même un renfort de poids pour le parti amarante qui n’est pas au mieux dans les sondages. Avec Michel Claise, DéFI s’offre le Robin des Bois de la justice bruxelloise. Celui qui épingle les malfrats en col blanc et dénonce le désinvestissement dans les moyens de la Justice. Un discours qui semble donc en adéquation avec celui que DéFI porte au parlement fédéral : il est évidemment plus facile de dire que les choses sont mal gérées quand on est dans l’opposition que quand on participe à une coalition. En prenant la 3e place derrière François De Smet et Sophie Rohonyi, il hérite de la place de combat : c’est à lui qu’il reviendra d’aller chercher le siège de troisième député dont DéFI rêve tant.

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Reste donc à régler les querelles de places. Charles Michel contre Didier Reynders, Sophie Wilmès avec ou sans Alexia Bertrand, Fabian Maingain contre Bernard Clerfayt, Rachid Madrane ou Julien Uyttendaele face à Ahmed Laaouej. Zakia Khattabi devant Alain Maron. Ces questions de personnes n’épargnent aucune formation. Pas même le PTB qui va devoir se passer des services de son influent faiseur de voix Youssef Handichi. Il faudra encore quelques semaines avant que les listes ne soient complétées. Ensuite, on pourra passer à la question des programmes. Débattre des idées, mettre des projets sur la table. On rappellera aux partis, à la presse et même aux électeurs, que si on tient à la démocratie et qu’on veut éviter la tentation populiste, c’est le débat sur les programmes plus que les querelles de personnes qui apportera cet oxygène nécessaire à une manière (qu’on voudrait noble) de faire de la politique.

Fabrice Grosfilley