L’édito de Fabrice Grosfilley : le séisme qui remet les choses à plat

Dans son édito du mardi 6 février, Fabrice Grosfilley revient sur le tremblement de terre qui frappait la Turquie un an auparavant.

C’était il y a un an. Un gigantesque tremblement de terre frappait le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie. Magnitude 7,8 . La catastrophe aura fait 53 000 morts coté turc, il faut y ajouter officiellement 6 000 morts coté syrien, un chiffre sans doute sous-estimé. Un an après, le traumatisme est toujours présent. Il y a les blessés qu’il faut toujours soigner, et surtout les personnes sans abri.  Ce tremblement de terre qui a été ressenti dans 11 provinces de la Turquie a touché 14 millions de personnes. 100 000 bâtiments se sont effondrés, plus d’un million d’autres ont été endommagés. Aujourd’hui encore entre 700 000 et 800 000 personnes vivent dans des conteneurs ou des tentes coté turc. Les ONG estiment que du coté syrien 4 millions de personnes sont en grande difficulté. Le tremblement de terre s’est ajouté à la guerre civile et à une situation humanitaire qui était déjà catastrophique dans cette région.

Un an après le séisme, les conséquences de ce tremblement de terre sont donc toujours bien visibles. Les nouveaux bâtiments promis par le gouvernement turc tardent à sortir de terre. Les gravats en revanche ont été presque entièrement déblayés. Le président Erdogan avait promis 650 000 nouveaux logements pour les sinistrés, seule la construction de la moitié d’entre eux a été lancée, dont 46 000 sont prêts à être livrés. Cela n’a pas empêché Recep Erdogan d’être réélu à la présidence.

Coté Syrien, la situation est bien pire. Dans cette partie du pays qui est la proie de combats continue entre factions rivales, quatre Syriens sur cinq souffrent aujourd’hui d’insécurité alimentaire. Après les tremblements de terre, les communautés ont été confrontées à des pénuries alimentaires persistantes et à une inflation continue. Certaines familles ont recours au mariage précoce forcé, ou au travail des enfants pour avoir de quoi survivre. Dans certains secteurs il faut ajouter des pénuries d’eau, le manque d’installation sanitaire. Les organisations non gouvernementales tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme. Sans financement suffisant, la crise humanitaire ne fera que s’aggraver.

S’il est utile de reparler de ce tremblement de terre un an après, ce n’est pas par fétichisme ou goût morbide pour les dates anniversaires. Mais pour se rappeler qu’aux portes de l’Europe des populations vivent des drames d’une ampleur que nous avons parfois du mal à imaginer. Que vouloir réguler l’immigration en provenance de ces zones abandonnées relève de la chimère. À moins de vivre derrière une barrière de sécurité et des barbelés ou de tirer à vue sur les zodiacs qui tentent de traverser la Méditerranée, nous ne pourrons pas empêcher ces populations de vouloir trouver refuge en Europe malgré toutes les difficultés que représente ce voyage. Nous, moralement, n’avons pas le droit de les renvoyer à la case départ par pur égoïsme, car ce serait manquer de la plus élémentaire humanité.

Dans ce rappel de la catastrophe du 6 février 2023, il y a une raison d’espérer qu’on doit garder en mémoire. C’est la gigantesque mobilisation des bruxellois qu’on a pu voir dans les jours et semaines qui ont suivi ce tremblement de terre. Dans tout Bruxelles, et en particulier dans les quartiers populaires, on a pu voir des collectes improvisées se mettre en place. De l’argent, des dons en nature, des camions ou camionnettes remplies à la va vite pour venir en aide. Ce ne sont pas forcément les plus fortunés qui se sont montrés les plus généreux. Cette mobilisation allait encore se répéter en septembre lorsqu’un autre tremblement allait toucher le Maroc fois-ci, même si le bilan serait heureusement moins sévère. La preuve (s’il en fallait encore une) que Bruxelles n’est pas une île. C’est une ville monde. Une ville humainement et économiquement connectée à la Flandre, la Wallonie, la France, l’Allemagne, les Pas-Bas, le Grand-Duché de Luxembourg et toute l’Union Européenne. Mais une ville en lien aussi avec ce qui se passe au Maghreb, en Afrique, au Proche ou au Moyen-Orient. Ces connexions sont la fois un élément de fierté, mais aussi un appel à la modestie. On ne gouverne pas Bruxelles à cout d’ordonnances ou de grande décisions qui partent d’en haut, que ce soit la Région ou l’État fédéral. Parce que notre ville aujourd’hui est bien trop complexe pour cela. Repenser à ce tremblement de terre, c’est ici aussi, pouvoir remettre les choses à plat.

Fabrice Grosfilley

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06 février 2024 - 11h09
Modifié le 06 février 2024 - 11h09