L’édito de Fabrice Grosfilley : le pot de confiture des pensions parlementaires
Cela ressemble à un grand déballage. Le montant des pensions des parlementaires crevait tous les plafonds, et les montants annoncés sont de nature à faire sursauter plus d’un pensionné. On savait déjà qu’il y avait eu un dysfonctionnement pour la retraite des anciens présidents de la chambre et une série de hauts fonctionnaires au service du Parlement fédéral. Désormais le problème est plus large, il concerne potentiellement la pension de tous les parlementaires. Enfin, de tous, pas tout à fait. Mais de ceux qui ont eu plusieurs carrières bien remplies et bien rémunérées. Et qui ont donc cotisé pour la pension et éventuellement des pensions complémentaires dans leur métier en dehors de la politique (le plus souvent dans le secteur privé) mais qui, ayant exercé plusieurs mandats de parlementaires, ont donc droit à une pension à ce titre-là aussi. Et qui, en cumulant les deux, arrivent à des sommes rondelettes. Tellement rondelettes qu’elles dépassent le fameux plafond Wijninckx.
Ce plafond instauré par la loi Wijninckx date des années 1970. Il consiste à limiter le plafond des hauts fonctionnaires et des élus en instaurant un revenu maximal . Ce plafond est aujourd’hui de 7813 euros bruts. Depuis 2014, les statuts de la la Chambre permettaient de dépasser ce plafond de 20%. On arrive donc à plus de 9000 euros bruts. Pour la très grande majorité des pensionnés ces montants sont astronomiques. La moyenne actuelle des pensions versées en Belgique tourne autour de 1300 euros bruts (la pension minimale est de 1600 euros mais il faut avoir une carrière complète comme salarié pour y avoir droit) . Sept pensionnés sur dix gagnent moins de 2000 euros. Alors que les parlementaires soient bien payés et jouissent d’une bonne pension n’est pas un scandale en soi. On a tous intérêt à ce que la représentation nationale, qui parle en notre nom et vote des lois qui s’appliquent à tous, soit assurée par des gens compétents et à l’abri des tentations financières. Mais l’écart ici est quand même conséquent. Et surtout s’autoriser une dérogation par apport à un principe qui date des années 1970 est particulièrement choquant. S’il y a un plafond c’est pour qu’il plafonne. Pas pour qu’on puise faire des trous dedans quand on en a envie.
Cette affaire des pensions donne évidement du grain à moudre a tout ceux qui estiment que les élus sont trop payés, et qu’entrer en politique est devenu une carrière et non plus un engagement. Qu’on y va pour faire de l’argent plus que pour défendre des idées, et surtout qu’on perd le contact avec la réalité en étant trop bien payé. Au risque de me faire critiquer (mais c’est le propre d’un éditorial de ne pas faire l’unanimité et d’oser parfois écrire à contre courant) je ne pense pas qu’on soit trop bien payé en politique : un bon avocat, un chef d’entreprise (en particulier les plus grandes d’entre elles, mais pas seulement) , un fonctionnaire européen de catégorie A, un cadre dirigeant dans une multinationale gagnent nettement mieux leur vie que nos élus. Et je ne parle pas des chanteurs ou des footballeurs lorsqu’ils rencontrent le succès. Il est moins indécent de gagner 6000 euros par mois lorsqu’on a été élu député que 100 000 euros, et parfois plus encore, lorsqu’on est chanteur ou footballeur (même sans aller chercher les grandes stars internationale : le salaire moyen d’un footballeur de première division en Belgique est 4 fois plus élevé que celui d’un député, cela pose quand même question sur notre échelle de valeur). Et on ne parle pas des arrangements fiscaux qui existent dans les exemples repris ici. Il faut se méfier des indignations à géométrie variable qui sentent bon le populisme. Oui les élus ont le droit d’être correctement rémunérés. Non il n’ont pas le droit de fixer des règles qui les arrangent et encore moins de s’autoriser à les contourner ensuite. On a besoin de transparence et de modération. Quand on demande au citoyen de se serrer la ceinture on ne peut pas s’autoriser à vivre soi-même dans l’opulence.
Le monde politique a-t-il reçu le message ? Sans doute que oui, en partie. Hier matin sur BX1 la cheffe de groupe PTB Sofie Mercx demandait qu’on en revienne strictement au plafond de la loi Wijninckx et que les député concernés remboursent les trop plein perçus. Quelques heures plus tard, le bureau de la chambre actait effectivement qu’on n’ autoriserait plus ce fameux dépassement de 20% (pour le remboursement on verra plus tard). Le parlement flamand, également concerné a pris la même décision, et on verra dans les prochaines heures ou prochains jours ce que fera le parlement bruxellois par exemple (à l’heure où j’écris ces lignes les élus ne semblaient pas savoir si le dispositif existait aussi à Bruxelles, une réunion avec l’administration a été convoquée par Rachid Madrane pour y voir clair). On peut aussi rappeler qu’en Région bruxelloise le gouvernement régional vient de décider de diminuer le salaires des ministres et des secrétaires d’état de 8%.
Il n’empêche que les révélations de ces dernières semaines, qui viennent après une longue série délétère qui va de l’affaire Nethys, aux voyages du greffier du Parlement wallon, en passant par Sihame El Kouakibi (parce que non, ça ne concerne pas que les francophones) donnent l’image d’élus qui ne peuvent pas s’empêcher de tremper leurs doigts dans le premier pot de confiture qui passe à leur portée. On pourrait cyniquement toujours appeler les électeurs à faire leurs examen de conscience aussi : quand on justifie la fraude fiscale, le dépassement de la limite de vitesse ou qu’on se sert sur le pommier du voisin on n’est pas toujours en position de stigmatiser autrui et après tout on peut-être les élus qu’on mérite, mais je digresse.. Ce qui serait vraiment salutaire maintenant, pour le monde politique, c’est d’adopter une attitude de transparence et de pondération salariale et de s’y tenir. Chaque fois qu’ils donnent l’impression de rouler pour leurs intérêt propre et pas pour celui de la nation, les élus se tirent une balle dans pied. Et il y a un certain nombre de ces balles perdues qui finiront par avoir la peau de notre système démocratique.