L’édito de Fabrice Grosfilley : le point de fragilité
Dans son édito de ce jeudi 16 mai, Fabrice Grosfilley revient sur l’impact de l’actualité internationale de ces derniers jours sur l’Union européenne.
Un chef d’État victime d’une attaque par armes à feu en Slovaquie. Un accord de gouvernement aux Pays-Bas. Une extrême droite au plus haut dans les sondages en Flandre, mais aussi en France ou dans d’autres pays de l’Union européenne. Ajoutons la guerre en Ukraine et la crainte d’une extension du conflit. On a rarement eu autant que ce matin le sentiment que l‘Union européenne arrivait à un point de bascule. Et que la période de paix, de construction européenne et de croissance économique que nous avons connue depuis 1945 était désormais entrée dans une zone de turbulence ou, au moins, dans une période de fragilité.
Commençons par la Slovaquie. On ne sait pas encore tout de ce qui s’est passé à Handlova dans le centre du pays, mais il est clair que l’attaque visait délibérément le Premier ministre Robert Fico. Le tireur est un écrivain et poète qui ne partageait pas ses idées politiques, mais il ne présentait pas, a priori, le profil d’un apprenti terroriste. Robert Fico a été touché de plusieurs balles et est toujours dans un état grave. Robert Fico, c’est le fondateur d’un parti social-démocrate au départ, mais qui est arrivé au pouvoir à la suite d’une alliance avec les partis nationaux et populistes. Considéré comme sulfureux par certains démocrates, il avait écarté des magistrats qui le gênaient, puis avait aligné sa politique étrangère sur celle de la Hongrie, en se rapprochant de Vladimir Poutine. Il avait notamment promis à ses électeurs la fin de l’aide à l’Ukraine. Depuis hier, les témoignages de soutien en faveur de Robert Fico viennent du monde entier. Bratislava, la capitale de la Slovaquie, est à 976 km de Bruxelles à vol d’oiseau. Cela représente une douzaine d’heures en voiture.
Encore plus proches, les Pays-Bas. En deux heures et demie, vous pouvez être à La Haye, où se trouvent le siège du Gouvernement et du Parlement néerlandais. C’est un trajet que feront sûrement certains journalistes belges ce matin pour assister à la présentation de l’accord de gouvernement conclu hier soir. Quatre formations ont donc fini par trouver un terrain d’entente six mois après les élections : le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders, le parti pro-agriculteurs BBB, le parti libéral VVD de l’ancien Premier ministre Mark Rutte et le nouveau parti anti-corruption NSC. On ne sait pas encore qui sera le Premier ministre. Geert Wilders avait annoncé en mars qu’il renonçait à briguer lui-même le poste. Les quatre formations politiques ont annoncé leur intention d’avoir un cabinet composé pour moitié de professionnels de la politique et pour moitié d’experts venus d’autres horizons. Sur la politique à suivre, on aura plus de détails tout à l’heure, mais on s’attend à un durcissement de la politique en matière d’immigration et à des coupes budgétaires pour les services publics.
Si nous avons le regard braqué sur Bratislava et La Haye ce matin, c’est parce que nous nous doutons bien que ces événements pourraient avoir un impact sur ce qui se passera en Belgique le 9 juin. Le fait qu’un chef de gouvernement puisse être victime d’un attentat par balle nous rappelle Sarajevo, l’attentat contre l’archiduc François-Ferdinand qui avait été l’un des déclencheurs de la guerre de 14-18. L’arrivée de l’extrême droite au pouvoir aux Pays-Bas est, elle, de nature à donner des ailes au Vlaams Belang. Peut-être que des électeurs flamands se diront dans les prochains jours que, puisque l’extrême droite est acceptée chez le voisin, il n’y a plus de raison de s’empêcher de voter pour elle aussi à Anvers, Gand, Grimbergen ou Bruxelles. Si pour l’instant aucun parti démocratique n’envisage de gouverner avec l’extrême droite, on ne peut pas assurer que cela n’arrivera jamais. Nous sommes ce matin dans une position d’attente, dans une position d’inquiétude. On regarde donc autour de nous. On porte le regard chez le voisin, ou un peu plus loin. On forme le vœu que cette Europe dont nous hébergeons les institutions à Bruxelles continue de jouer son rôle. Qu’elle nous apporte encore demain la perspective d’un espace où la sécurité, une certaine stabilité, la prospérité et surtout une réelle liberté publique sont des réalités.
Fabrice Grosfilley