L’édito de Fabrice Grosfilley : le monde bouge, pas les partis

Dans son édito du jeudi 14 mars, Fabrice Grosfilley revient sur sur la commission de la constitution

La scène se passe hier après-midi. La commission de la constitution et du renouveau institutionnelle est convoquée à 14 heures salle Marguerite Yourcenar. 15 minutes plus tard, fin de la séquence, la présidente de cette commission Özlem Özen (PS) lève la séance faute de quorum : les députés n’étaient pas assez nombreux pour que les débats soient valides.

À priori, c’est anecdotique, une simple anicroche dans la vie d’un parlement qui est soumis à ce type d’aléas : les parlementaires courent d’une commission à l’autre. Trois mois avant les élections, ils sont aussi de plus en plus nombreux à préférer les visites de terrain aux débats parlementaires, c’est la campagne qui va cela. Hier, il y avait 13 réunions de commission au programme, celle des relations extérieures a également dû être annulé faute de combattants.

En pratique, c’est beaucoup plus dérangeant. Cette réunion de commission devait examiner les propositions de loi déposées par les différents groupes politiques sur le financement des partis politiques. On allait toucher au nerf de la guerre, à la trésorerie des maisons mères des parlementaires. Fondamental d’un point de vue démocratique. Gênant d’un point de vue politique. Gênant parce qu’au sien de la majorité fédérale, les discussions patinent depuis des mois. Les dernières discussions n’ont pas permis d’aboutir à un consensus. Il n’y avait donc pas de majorité pour réformer le système actuel. On peut comprendre que les députés n’aient pas envie de perdre du temps dans des palabres stériles et de s’exposer à la désapprobation publique au nom de l’intérêt supérieur de leur parti respectif. Surtout quand la première  proposition dont il aurait fallu débattre hier était celle déposée par la N-VA qui prévoyait purement et simplement la surpression des dotations publiques (autant dire se faire hara-kriri d’un point de vue financier). Mais entre plus de dotation du tout et le maintien du système actuel, il y avait un éventail des possibles considérable.

Pour rappel, on vous a déjà parlé du financement des politiques ces derniers mois, notamment à la suite de recommandations transmises par le collectif citoyen “we need to talk”. Ce collectif suggérait par exemple d’assortir le financent à une série d’obligations : devoir consacrer un pourcentage de la dotation au développement d’un centre d’étude, limiter ou interdire les investissements dans la communication et les réseaux sociaux (qui aujourd’hui, pour certains partis, captent l’essentiel des revenus issus du financement public) ou encore interdire les investissements spéculatifs, ou immobiliers. Pour rappel s’il y a une dotation publique aux partis, calculée en partie au prorata de leurs scores électoraux, c’est pour leur éviter d’avoir recours au financement privé. Le système des donateurs privés, à l’américaine, qui encourage la course aux compromission ou aux arrangements douteux, ou l’appel aux entreprises, qui donne un poids considérable aux lobbys en tous genre a abouti à quelques scandales retentissants. On ne veut pas la jungle pour le financement de notre vie politique, on veut des règles, l’assurance que l’argent est utilisé à bon escient et peut être un peu de rigueur budgétaire : quand tout le monde se serre la ceinture il n’est pas anormal que les partis politiques en fassent autant.

Il aurait donc fallu une réforme. C’était d’ailleurs prévu dans l’accord de gouvernement. Cette réforme, comme la guerre de Troie de Giraudoux n’aura pas lieu. Non seulement elle n’aura pas lieu, mais même le débat en commission semble donc impossible. La politique de la chaise vide pour ne pas se mouiller ne grandit pas les partis de la majorité. Nous sommes dans un monde qui bouge. L’intelligence artificielle menace des emplois et révolutionne la création, les réseaux sociaux sont chaque jour plus puissants, les plateformes internationales ont remplacé les grands groupes industriels de papa, la guerre est aux portes de l’Europe, la terre se réchauffe. Tout bouge, tout s’accélère. Sauf nos partis politiques, qui voudraient que pour eux-même, le système reste immuable, et surtout, très confortable.

Fabrice Grosfilley

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14 mars 2024 - 11h06
Modifié le 14 mars 2024 - 11h06