L’édito de Fabrice Grosfilley : le fédéral, en ordre dispersé
Dans son édito du mercredi 30 août, Fabrice Grosfilley évoquait la suspension de l’accueil des hommes seuls demandeurs d’asile.
Il n’y a plus de place dans le réseau Fedasil. Et pour pallier le manque de place, on n’accueillera donc plus les hommes seuls. Les places restantes sont désormais réservées aux femmes ou aux familles avec enfants. C’est la décision annoncée hier soir par la secrétaire d’Etat du gouvernement fédéral en charge de l’asile et de la migration Nicole De Moor dans un communiqué.
La secrétaire d’État entend anticiper “‘l’afflux croissant de familles et d’enfants pour éviter absolument qu’ils ne se retrouvent à la rue en hiver”. Fedasil, dont la raison d’être est d’héberger, nourrir, soigner les demandeurs d’asile une fois qu’ils ont déposé une demande n’est donc plus en mesure de le faire.
Et la secrétaire d’Etat de préciser que 19.000 demandeurs d’asile se sont fait enregistrer cette année en Belgique, contre 1.500 au Portugal, “un pays dont la population est similaire à celle de la Belgique”.
Cette décision souligne de nouveau l’incapacité du gouvernement fédéral à se doter du nombre de places suffisantes pour absorber l’afflux de demandeurs d’asile, et l’engorgement général de la filière, où un demandeur d’asile doit attendre de longs mois, parfois des années, avant que l’on statue sur sa demande.
On rappellera que l’hébergement de ces demandeurs n’est pas une option, c’est une obligation internationale, et que le problème n’est pas neuf, il a déjà fait couler beaucoup d’encre pendant les législatures précédentes.
Un terrible constat d’échec
Ce que dit Nicole De Moor en donnant la priorité aux enfants et aux familles et en habillant sa communication d’un vernis humanitaire de bon sens, est en réalité un terrible constat d’échec : puisqu’on pas assez de place, et qu’on se révèle incapable d’en créer on va donc s’assoir sur nos obligations, même si cette mesure est présentée comme temporaire, cela signifie que les prochains demandeurs (en grande majorité des hommes seuls) seront laissés dans la rue.
Débrouille-toi mon gars, et s’il fait froid en Belgique pendant l’hiver, que tu te retrouves livré aux réseaux criminels ou qu’il faut compter sur la solidarité citoyenne pour t’héberger, ce n’est pas le problème du gouvernement fédéral.
Cette décision de Nicole De Moor est évidement, politiquement et moralement, interpellante. Elle est surtout en décalage complet avec l’effort que le gouvernement fédéral prétend fournir en faveur de la sécurité dans les rues de Bruxelles, et en particulier dans les grandes gares, Gare du Nord ou Gare du Midi.
Ce n’est un secret pour personne : la criminalité qui se développe dans ces quartiers est en partie liée à la présence de jeunes hommes déracinée, qui n’ont pas d’autres moyens de subsistance que de petits (ou grands) larcins et qui ont développé une addiction à toute une série de substances licites ou illicites, quand ils ne souffrent pas de troubles de la santé mentale.
Il ne sert à rien que le gouvernement fédéral s’émeuve de l’insécurité à la Gare du Midi si c’est pour y envoyer encore plus de personnes susceptibles de tomber dans la délinquance.
Quand Annelies Verlinden, ministre de l’intérieur, membre du CD&V, monte au créneau pour dire qu’il faut une coordination de la sécurité en Région Bruxelloise, que tous les acteurs doivent se retrousser les manches, qu’elle fait la publicité d’une première opération de police qui a surtout servi à arrêter des personnes sans-papiers, et que 3 jours plus tard, Nicole de Moor, secrétaire d’état à l’asile et à la migration, également membre du CD&V, ferme les portes du réseau d’accueil et annonce qu’elle va renvoyer des centaines d’hommes, peut-être plus, vers les rues de Bruxelles on ne peut s’abstenir de souligner que la politique fédérale manque singulièrement de cohérence.
Que vouloir résoudre le problème de la sécurité à Bruxelles en adoptant uniquement un point de vue répressif ne marchera pas. Qu’au mieux la police réussira à chasser les trafiquants d’un quartier pour les voir réapparaître dans un autre.
Mais que oui, les petits et les grands trafics, les attroupements, la dégradation de l’espace public, la présence en rue permanente de personnes en grande précarité et en grande détresse, tout ce qui contribue à cette insécurité dont on parle tant, tout cela sera inévitable, si on continue d’envoyer des hommes sans attache dormir dans la rue.
Et c‘est de nouveau Bruxelles, pas la Flandre, pas la Wallonie qui sera confrontée au problème. C’est précisément le sens de la décision annoncé hier soir par Nicole De Moor.
Fabrice Grosfilley