L’édito de Fabrice Grosfilley : le droit de danser
Une première ministre a bien le droit de danser. C’est la conclusion à laquelle arrive l’un des plus plus haut magistrat de Finlande. Un épilogue judiciaire après une polémique qui avait enflammé toute l’Europe et dont nous avions parlé ici.
Sanna Marin, c’est le nom de la première ministre finlandais qui avait été filmée lors d’une soirée privée en train de danser. Des images qui avaient provoqué un tollé. Activité indécente quand on occupe ce niveau de responsabilités, avaient estimé ses opposants. Des plaintes avaient été déposées. « La Première ministre n’a pas négligé ses devoirs dus à sa fonction en dansant et chantant» a conclu aujourd’hui le Chancelier de la Justice finlandais, un haut magistrat qui est notamment chargé de vérifier la légalités des activités gouvernementales.
Sur le plan judiciaire l’affaire est donc close. Si on y revient ce vendredi, c’est d’abord pour donner vous donner la fin de l’histoire. Que vous sachiez qu’il y a bien eu une suite à cette très bruyante polémique qui nous étaient tombé dessus à la fin du mois d’août. Et que tous ceux qui voyaient dans ces indignations des attaques très politiques et très sexistes n’avaient pas complètement tort. Revenir sur cette affaire c’est aussi l’occasion de s’interroger sur ces emballements médiatiques qui mobilisent fortement notre attention pour quelques heures, et qui ensuite tombent dans l’oubli.
Si à la fin de l’été toute l’Europe parlait de Sanna Martin, c’est évidemment parce que la polémique finlandaise posait des questions qui débordent du strict cadre national. Notamment la question du pouvoir, de ses attributs, de ses codes et de son décorum. Nous sommes tellement habitués à ce que ce pouvoir soit incarné par des hommes, que ces hommes soient plutôt âgées et affichent une certaine proximité avec les milieux d’affaires, la bourgeoisie, la noblesse, la famille royale, l’armée… ou tout autre forme de pouvoir que nous avons intégrés une série de codes dont il est difficile de s’affranchir. Un ministre, ça porte une chemise blanche et un costume sombre, ça prononce des discours et ça coupe des rubans, ça s’exprime à la chambre des députés ou sur un plateau de télévision, ça ne danse pas et ça se filme encore moins en train de danser.
L’affaire Sanna Marin remet donc un certain nombre de clichés en cause et c’est tant mieux. Elle devrait aussi, cette affaire, attirer notre attention, sur ces indignations qui s’enflamment et saturent la une de nos journaux, surtout quand le soufflé retombe quelques jours après et qu’on en parle plus jamais. Au fond cette polémique, aujourd’hui, paraît relativement futile. Et à y regarder de plus près il y a bien d’autres comportements de nos hommes et de nos femmes politiques qui mériteraient d’être à la une de nos gazettes et qui pourraient nourrir des débats qui n’ont rien d’anecdotique.
Plutôt que de savoir si Sanna Marin avait le droit de danser, on pourrait s’interroger sur les présidents de partis qui partagent du contenu d’extrême droite sur nos réseaux sociaux. Sur ces approximations douteuses qui veulent réduire le débat politique à un match de catch, ou en apparence on se clashe , alors qu’on gouverne tous ensemble. Sur ces promesses qu’on fait la main sur le cœur et qu’on oublie quelques mois plus tard.
Comment se fait -il que des familles enfants dorment par dizaines dans les rues de Bruxelles ? Comment se fait -il que la Belgique soient condamnée pour des infractions à l’application du droit d’asile ? Pourquoi les juges de la jeunesse n’ont-ils pas assez de place d’accueil pour les mineurs en danger ? Pourquoi y-a-t-il encore 200 morts sur les routes chaque années ? Pourquoi le montant de la fraude fiscale dépasse-t-il les 10 milliards d’euros chaque année ? Laissons Sanna Marin danser. Mais que ceux et celles qui doivent gouverner, mais aussi informer ou commenter, réfléchissent aussi à l’ordre de leurs priorités.
Fabrice Grosfilley