L’édito de Fabrice Grosfilley : le débat bruxellois

Dans son édito de ce mardi 4 juin, Fabrice Grosfilley revient sur l’importance des débats, y compris bilingues, lors des élections.

Deux heures de débat, avec une confrontation entre des têtes de listes francophones et néerlandophones. C’est l’échange que vous proposera BX1 ce soir à 18h30. Une émission qui sera réalisée en direct et en public depuis le Parlement bruxellois. Cette idée de mettre ensemble dans le même débat des ténors francophones et néerlandophones, on la doit à Jean-Jacques Deleeuw, le directeur de l’information, et nous l’avions déjà concrétisée il y a cinq ans. Elle peut paraître contre-intuitive. Habituellement, entre francophones et néerlandophones de Bruxelles, nous avons tendance à évoluer dans deux sphères distinctes. On suit l’actualité, et notamment l’actualité politique, dans des médias qui se concentrent sur une communauté linguistique, connectée soit à la Flandre, soit à la Wallonie. C’est la VRT, VTM et Bruzz pour les uns, la RTBF, RTL et BX1 pour les autres. On lit Le Soir, La Libre ou De Standaard, La DH, La Capitale ou Het Laatste Nieuws. Les Bruxellois qui s’informent dans les deux langues, cumulant ainsi plusieurs sources d’informations ou passant très régulièrement de l’une à l’autre, sont de plus en plus rares.

La délicate architecture institutionnelle qui est la nôtre, ce travail de dentelle qui a abouti à la création de la COCOF, la Commission communautaire française, de la VGC, la Vlaamse Gemeenschap Commissie, et de la COCOM, la Commission communautaire commune, n’aide pas. De même que la division du débat politique en deux univers distincts. C’est très marqué au niveau de la presse nationale. Il y a les débats de la presse néerlandophone, les centres d’intérêt de la presse francophone, et ce ne sont pas toujours les mêmes, et ils ne font pas toujours la une au même moment. Et pourtant, Bruxelles est le trait d’union entre les deux grandes langues nationales que sont le français et le néerlandais. Notre ville est aujourd’hui une ville multilingue, c’est vrai pour les langues parlées par les Bruxellois. Et une ville bilingue en ce qui concerne son fonctionnement politique. Les services publics à Bruxelles se doivent d’avoir la capacité d’accueillir le public en français et en néerlandais. C’est la loi. Le gouvernement de la Région bruxelloise doit compter autant de ministres francophones que néerlandophones. Il y a en revanche un peu de souplesse du côté des secrétaires d’État, et le ministre-président ne compte pas. Le Parlement bruxellois pour lequel vous voterez dimanche sera bien composé de 89 députés qui reflètent cette partition de la vie politique en deux univers juxtaposés : 72 sièges pour les francophones, 17 pour les néerlandophones.

On peut débattre à l’infini de la légitimité ou non de cette organisation institutionnelle. Aujourd’hui, elle s’impose à nous. Ce qui signifie que les partis francophones et néerlandophones, même s’ils négocient séparément dans un premier temps, devront à l’arrivée s’accorder sur un programme de gouvernement qui rassemblera tout le monde. Et qu’avant ces négociations, c’est l’électeur qui va d’abord s’exprimer. Avec la particularité qu’à Bruxelles, cet électeur a le droit de choisir. Il n’est pas cantonné aux listes francophones ou aux listes néerlandophones. C’est vrai à la Chambre, où la plupart des partis proposent désormais des listes bilingues. C’est vrai aussi au Parlement régional, où il y a bien deux collèges distincts, un collège francophone qui désigne 72 députés, un collège néerlandophone qui en désigne 17, mais pour lesquels l’électeur a le choix. Il choisit de voter pour l’un ou l’autre collège. Attention, on ne peut pas voter pour les deux. Il faut choisir soit l’un, soit l’autre.

Notre débat de ce soir est donc parfaitement légitime, logique, et même peut-être indispensable. Quand on ne croise pas les points de vue, il est très facile de caricaturer l’autre, de lui faire porter la responsabilité d’un échec, et de s’abstenir de prendre ses propres responsabilités. On le voit par exemple lorsqu’on parle de mobilité : si cela marche mal, ce serait la faute des partis flamands. Ou à l’inverse, les partis francophones ne défendent pas les cyclistes. Aucune de ces deux affirmations n’est correcte. De même, on ne peut pas dire que s’il y a des problèmes de sécurité, ce serait parce que les partis francophones ne prendraient pas le problème au sérieux, ou que les règles d’urbanisme seraient pensées dans l’intérêt des Flamands, etc. Il y a beaucoup de clichés qui circulent. Mettre face-à-face des partis francophones et des partis flamands permet de tordre le cou aux clichés et d’aller au-delà des idées préconçues. Entendre de la bouche des premiers intéressés qui propose quoi, c’est pour l’électeur savoir qui défend quelle politique et comment les compromis peuvent se construire. Bref, c’est un éclairage que nous croyons indispensable à la démocratie. Un moment d’information qui doit aider tous ceux qui se disent indécis à être mieux documentés et à pouvoir poser leur choix.

Fabrice Grosfilley

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04 juin 2024 - 10h54
Modifié le 04 juin 2024 - 10h54