L’édito de Fabrice Grosfilley : le boycott, pour marquer son indignation
Dans son édito de ce mardi 26 mars, Fabrice Grosfilley revient sur le boycott des produits israéliens.
Faut-il boycotter les produits en provenance d’Israël ? La question est lancinante, elle date de bien avant l’offensive de l’armée israélienne en cours dans la bande de Gaza. De bien avant l’attaque du Hamas du 8 octobre, donc. Un questionnement qui refait régulièrement surface lors des moments de tensions entre Israéliens et Palestiniens, mais qui se pose sans doute avec plus d’acuité ces dernières semaines au fur et à mesure que les condamnations de l’action d’Israël à Gaza se font de plus en plus vives.
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Ce lundi soir, la Ville de Bruxelles a donc posé un premier pas. Les produits en provenance des colonies israéliennes seront désormais exclus des marchés publics passés par la ville. C’est en tout cas le sens d’une résolution adoptée hier par le conseil communal. Résolution adoptée à une large majorité, mais sur laquelle le MR et la N-VA se sont abstenus. La motion appelle les échevins à faire en sorte que les marchés publics ne bénéficient pas à des sociétés travaillant dans des conditions ne respectant pas le Droit international, les Droits humains, le Droit environnemental, social et du travail. Ce libellé est intéressant, parce qu’il ne vise pas explicitement Israël ni les sociétés israéliennes qui exploitent des terres agricoles situées dans les territoires palestiniens. Le texte a donc, en théorie, une portée plus universelle. Il pourrait s’appliquer par exemple à la culture de la banane ou du citron vert en Amérique latine, quand des entreprises déversent des tonnes de produits chimiques par voie aérienne et interdisent à leurs travailleurs de se syndiquer. Mais, dans les faits, ce sont bien les produits agricoles qui proviennent des colonies israéliennes qui sont visés. Des avocats, de l’huile d’olive, des dattes, des pamplemousses, des oranges, des concombres, mais aussi du bois, des meubles et du textile. On estime que, chaque année, la Belgique importe pour un milliard et demi de produits israéliens. La part des produits qui proviennent effectivement des territoires colonisés est très réduite. Un montant d’environ deux millions par an, c’est presque anecdotique, même s’il est difficile d’établir avec certitude ce qui provient ou pas des colonies.
Autant dire que la résolution d’hier soir ne changera pas la face du monde. D’après Benoit Hellings, premier échevin, la centrale d’achat de la Ville de Bruxelles et les cuisines bruxelloises n’auraient d’ailleurs aucun produit provenant des colonies israéliennes en magasin. Il n’empêche que c’est un premier vote et qu’il a une portée symbolique. Dès le mois de novembre dernier, il y a déjà cinq mois, le Cd&V avait d’ailleurs posé la question d’un boycott national des produits provenant des territoires colonisés par Israël. La proposition avait été mise sur la table du gouvernement fédéral, elle avait reçu le soutien des partis socialistes et écologistes, mais les libéraux s’y étaient opposés. Il y a encore quinze jours, Hajda Lahbib, ministre des Affaires étrangères, estimait que la Belgique n’allait pas toute seule boycotter Israël et rappelait qu’un accord d’association existait avec l’état Hébreu : “Je ne suis pas là pour prendre de prendre des postures ou exprimer des opinions qui n’aboutissent à rien. S’il faut remettre en cause cet accord, cela doit venir de la Commission”, disait-elle au journal l’Echo.
On notera que la résolution du conseil communal de la Ville de Bruxelles est intervenue quelques heures après un vote qui aura lui sans doute beaucoup plus de poids au niveau international : une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui “exige un cessez-le-feu immédiat pour le mois du Ramadan” – qui a déjà commencé il y a deux semaines -, devant “mener à un cessez-le-feu durable” et “exige la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages”. Pour la première fois, le Conseil de sécurité adopte donc une résolution qui, en théorie, se veut contraignante, conséquence d’une évolution sensible de la position américaine (jusqu’à présent les USA utilisaient leur droit de veto face à ce genre de résolution, hier, ils se sont abstenus, le texte est donc adopté). Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres s’en est félicité et a ajouté que ne pas appliquer cette résolution serait “impardonnable”. Ce matin, cette résolution n’a pas encore porté ses fruits. Les combats se poursuivent, avec notamment des bombardements dans la région de Rafah, au sud de la bande de Gaza.
Ces appels au boycott pourraient être considérés comme risibles. Ils n’auront qu’une influence proche de zéro sur les décideurs israéliens. Mais ils sont le moyen de signifier une protestation, la marque d’une désapprobation. Le monde occidental auquel nous appartenons n’a plus le droit de détourner le regard. Il va falloir trouver la bonne distance entre la condamnation des actions militaires disproportionnées du gouvernement israélien, la condamnation légitime d’une guerre qui tourne au massacre, et tout ce qui pourrait ressembler à une manifestation larvée d’antisémitisme. Le sujet est sensible. En période électorale, les images qui arrivent de Rafah, de Kahn-Younes ou de Cisjordanie provoquent de la colère, de l’indignation, de la compassion, tout comme celles de l’attaque du 8 octobre. Il ne s’agit pas d’opposer les victimes israéliennes aux victimes palestiniennes. De justifier les unes par rapport aux autres, ou de hiérarchiser les unes par rapport aux autres. Il s’agit de défendre deux populations civiles. Et de cesser de jeter un voile pudique sur une guerre dont on pourrait croire qu’elle ne nous concerne pas… et à laquelle pourtant de nombreux Bruxellois pensent tous les jours.
Fabrice Grosfilley