L’édito de Fabrice Grosfilley : la recette populiste
Dans son édito du mardi 29 août, Fabrice Grosfilley revenait sur le cas de Donald Trump.
Ce n’est plus un calendrier, c’est un marathon. Les rendez-vous de Donald Trump avec la justice américaine se multiplient et les dates de procès se précisent. Avec une évidence : celle d’un carambolage entre l’agenda politique du candidat Trump et le rythme des convocations dans les différentes affaires où il est poursuivi. Hier soir, la juge fédérale Tanya Chutkan a ainsi fixé au 4 mars la date du procès pour la tentative d’inversion du résultat des élections de 2020. Le 4 mars, cette date ne vous dit peut-être rien, mais c’est la veille du “Super Tuesday”, ce fameux mardi où une dizaine d’États organisent des primaires dans le cadre de l’investiture du Parti républicain. Le lundi, Donald Trump serait donc sur le banc des accusés. Le mardi, il demanderait aux électeurs de voter pour lui.
Depuis des semaines, Donald Trump instrumentalise ses déboires avec la justice américaine pour alimenter sa campagne “anti-système”. Il se pose en victime, accuse les magistrats de partis pris, dénonce une chasse aux sorcières. Mais le resserrement du calendrier, et l’accumulation des différentes affaires, est peut-être en train de se retourner contre lui. Ses avocats avaient demandé à la juge Chutkhan un délai de deux ans et demi pour préparer leur défense. La juge leur a refusé ce délai. Ce ne sera pas au mois de janvier, comme le demandait le procureur, ce sera au mois de mars. Deux mois de gagnés, mais au final, c’est peut-être pire pour Donald Trump.
Peut-on imaginer un candidat qui brigue les plus hautes fonctions de l’État, qui dans le même temps est en passe d’être condamné ? Vu de Bruxelles, la question pourrait sembler incongrue. D’autant que, dans ce cas-ci, c’est bien pour avoir tenté de perturber le processus électoral que l’ancien président Trump est poursuivi. À cette affaire, jugée devant un tribunal fédéral, s’ajoutent en Géorgie (pour avoir tenté de manipuler les résultats dans cet État-là précisément), mais aussi l’affaire Stormy Daniels, ou encore la gestion très négligente des documents classés top secret entreposées dans sa villa de Mar-a-Lago, qui sera jugée par un tribunal de Floride. Et pourtant, Donald Trump continue de faire campagne, d’avoir le soutien d’une grande partie du camp républicain et des électeurs conservateurs.
En dénigrant systématiquement les juges, Donald Trump indique le peu de cas qu’il fait de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs. Une ficelle qui relève pleinement de ce qu’on appelle le populisme, qui consiste à opposer l’opinion publique aux élites, à appeler l’homme ou la femme de la rue à s’opposer aux institutions. Il y a une tentation insurrectionnelle permanente dans la posture de Donald Trump et de ses partisans. Et le fait qu’ils soient si nombreux indique à quel point nos sociétés manquent désormais de recul face aux slogans, aux idées toutes faites, aux tentatives de manipulations et aux fausses informations. Le succès de Donald Trump, rendu possible par l’essor des réseaux sociaux et une atomisation croissante de nos sociétés, c’est la défaite du vivre ensemble et du respect dû aux institutions qui permettent ce vivre ensemble en organisant la vie politique, économique et sociale, la démocratie et la justice. On notera également que le discours anti-système du candidat sert avant tout à se protéger lui-même d’un système auquel il refuse de se soumettre… mais qu’une fois parvenu au sommet de la pyramide, son premier objectif est de faire tourner ledit système à son avantage, pas de le réformer.
Est-ce typiquement américain ? Peut-être pas. Boris Johnson en Grande-Bretagne et d’autres hommes ou femmes politiques utilisent les mêmes ressorts en Europe. En jouant sur le rejet des élites, en dressant un camp contre un autre, en faisant croire au citoyen qu’il serait juste (et anodin) de critiquer la justice, légitime de mettre en cause l’État de droit, la démocratie, les institutions en général. Cette tentation populiste ne nous épargne pas. Un seul exemple en Belgique suffit à le démontrer : il y a une dizaine ou une vingtaine d’années, un homme ou une femme politique mis en cause par la justice faisait systématiquement un pas de côté. Démission ou suspension temporaire, ça ne se discutait même pas. Est-ce que cela serait encore le cas en 2023 ? Le fait qu’on puisse se poser la question indique le chemin parcouru par notre vie publique. Et pas forcément dans le bon sens.
Fabrice Grosfilley