L’édito de Fabrice Grosfilley : la politique du rapport de force

La politique est un rapport de force. On essaye de le cacher, on joue la carte de l’écoute ou du dialogue, on vante la démocratie participative et le compromis constructif.  Mais qu’on soit dans un système majoritaire comme en France, ou dans une système de coalition comme en Belgique, ce rapport de force finit toujours pas s’exprimer. C’est la politique du bras de fer, qui implique qu’il doit y avoir au final, un vainqueur et un vaincu, un dominant et un dominé.

Commençons par la France. C’est le plus simple à observer, plus spectaculaire et plus courant aussi. Chez nos voisins, il y a une majorité et une opposition. La majorité est censé avoir le contrôle de l’Assemblée Nationale, elle siège au gouvernement. La majorité française arrête son programme, elle ne fait pas de compromis, c’est le principe de l’alternance. Le premier ministre, et le plus souvent c’est même le président de la république en personne, trace la route. On avance, même si le principe de réalité incite à tordre le cou à quelques promesses faites aux électeurs. Dans la pratique cette manière de faire rencontre ses limites avec la réforme des retraites. D’abord parce que la République en Marche et ses alliés n’ont pas le contrôle de l’Assemblée Nationale. Le parti présidentiel n’est, sous cette législature, plus en mesure d’imposer sa loi. Il doit trouver des alliés. L’allié privilégié jusqu’à présent se situait à droit avec le parti les républicains. Mais les dissensions internes de ce parti ont fait exploser le concept de majorité virtuelle. La vérité est qu’Emmanuel Macron et Élisabeth Borne doivent gouverner avec un gouvernement qui est minoritaire. Minoritaire à l’assemblée, et minoritaire dans le pays si l’on en croit les sondages d’opinion qui révèlent une France largement hostile à cette réforme des retraites.

Hier, plus d’un million de français était dans la rue. Emmanuel Macron à la télévision l’a joué sur le mode bravache. Cette réforme est nécessaire, a-t-il répété, assurant qu’elle entrerait en vigueur à la fin de l’année : “s’il faut endosser l’impopularité dans le pays, je l’endosserai“. Le président a aussi accusé les syndicats d’avoir refusé la négociation, ce qu’ils ont vivement démenti. D’un côté le pouvoir qui ne lâche rien, de l’autre les opposants qui sont dans la rue. C’est le passage en force par excellence, avec un président qui parie sur l’essoufflement du mouvement de contestation. Une vraie prise de risque qui risque d’enliser la France vers un conflit de longue durée, et le danger que les choses ne dégénèrent vraiment, sur un modèle proche de mai 68.

En Belgique pas de mouvement social de ce type là à l’horizon. Il y a bien une grève chez Delhaize et des journées d’action, mais nous sommes dans la contestation et pas dans la rébellion. Question de culture sans doute, question d’agenda politique aussi. La question des retraites ne se débat pas sur la place publique avec la même intensité (on pourrait peut-être le regretter). Cela ne veut pas dire que le rapport de forces n’appartiendrait pas à notre culture politique.  Le rapport de force, les muscles que l’on bandent, le donnant-donnant où l’on se bat jusqu’au dernier moment sont même la règle. En coulisse le plus souvent, sur la place publique parfois. La preuve avec ce dossier des masters en médecine qu’il faudrait ou pas ouvrir à Namur et à Mons. Saupoudrage et gaspillage estiment les libéraux. Ancrage locale et réponse à la pénurie de médecin rétorquent socialistes et écologiste. L’argument est qu’en formant des médecin dans le Hainaut ceux ci seront plus enclins à s’y installer, une mesure qui permettrait de lutter contre le désert médical.

A ce stade le blocage est total.Le bras de fer intense. Georges-Louis Bouchez a beau affirmer, comme il l’a fait hier à jeudi en prime, qu’il n’y a pas de crise, c’est l’inverse de la réalité. Mardi prochain, PS et Ecolo menacent de déposer une proposition de décret au parlement de la Fédération Wallonie Bruxelles. Une proposition qu’ils feraient voter avec le soutient des Engagés. Une majorité alternative qui serait un camouflet pour Georges-Louis Bouchez et aussi pour Valérie Glatigny, ministre de l’enseignement supérieur et Pierre-Yves Jeholet, ministre-président. La majorité retient son souffle. Le rapport de force et la volonté de faire mordre la poussière à l’autre camp sont, en Belgique aussi, un ingrédient majeur de notre vie politique.

 

Fabrice Grosfilley