L’édito de Fabrice Grosfilley : la N-VA en Wallonie et à droite toute

Dans son édito de ce jeudi 21 mars, Fabrice Grosfilley revient sur la présence des listes N-VA en Wallonie.

La “nouvelle alliance flamande”, veut donc séduire les électeurs wallons. La N-VA , le parti de Bart De Wever et Théo Francken, présentera des listes en Wallonie. Une première tête de liste a été dévoilée hier. Il s’agit de Drieu Godefridi qui se présentera dans l’arrondissement du Brabant wallon. Pour nous, Bruxellois, cela ne change pas grand-chose. La N-VA est déjà présente à Bruxelles, avec Cieltje Van Achter comme chef de file à la Région. Un parti clairement identifié comme néerlandophone et relayant à Bruxelles le programme très flamando-centré de la N-VA. Avec les listes wallonnes, la musique risque de sonner différemment. Il est difficile d’appâter l’électeur wallon en lui parlant de l’autonomie ou de l’indépendance de la Flandre. C’est donc surtout sur le terrain socio-économique et sur les grandes questions de société ou sur les questions éthiques et morales que la N-VA devrait mettre l’accent.

Il est utile de ce point de vue de s’arrêter sur la personnalité de Drieu Godefridi qui sera donc tête de liste dans le BW, mais qui est aussi présenté comme celui qui incarnera l’image de la N-VA pour l’ensemble du territoire wallon. Drieu Godefridi, on le connait comme polémiste, il signe de très nombreuses cartes banches, il publie des livres, il intervient sur les réseaux sociaux. Il a été proche d’Alain Destexhe, il a eu (et a peut-être encore) une influence sur des personnalités du mouvement réformateur, où il alimentait en idées et conseils un courant de droite, opposé au libéralisme social. Si on s’intéresse à ce qu’il a écrit jusqu’à présent, on a affaire à un penseur libéral, très marqué à droite, tant sur le plan socio-économique que sur les thèmes de société. Drieu Godefridi est ce qu’on pourrait appeler un néo-libéral sur le plan des idées économiques : moins l’Etat intervient et plus on laisse le marché faire, mieux je me porte. Il a notamment dirigé l’institut Hayek. C’est aussi un néo-conservateur dans de très nombreux domaines, marqué par le catholicisme, il a souvent mené des combats qui l’ont amené à fréquenter l’extrême-droite. Drieu Godefridi est par exemple contre le droit à l’avortement, il a milité activement contre le droit à l’euthanasie pour les mineurs, il est climatosceptique, s’en prend régulièrement au GIEC (groupe des experts pour le climat) et qualifie ce qu’il appelle le “réchauffisme” de “plus grande imposture intellectuelle” de la science moderne.  Avec lui, pas question de cordon sanitaire, il a par exemple interviewé pour un journal étudiant qu’il avait lancé  le président du front national belge de l’époque Daniel Feret qui pouvait affirmer tranquilou-bilou dans cet entretien qu’“on ne peut pas nier qu’Hitler a donné de l’emploi à des gens qui crevaient de faim, on ne peut pas nier qu’il a redressé l’Allemagne”.

Bref, Drieu Godefridi, c’est une sorte de Steve Bannon à la Belge. Le choix de cet homme comme vitrine francophone nous éclaire sur les positionnements de la N-VA. Oui, la N-VA est bien un parti conservateur, il n’y a pas de doutes là-dessus. La frontière entre droite dure et extrême-droite restant l’affirmation d’un racisme décomplexé. Possible et assumé au Vlaams Belang, refusé par la N-VA. Cette frontière est-elle suffisante pour empêcher la N-VA de s’allier un jour au Vlaams Belang et former ce qu’on appelle en Flandre la “coalition V”, la grande coalition flamande qui serait un pas décisif vers l’indépendance flamande, c’est aujourd’hui toute la question.

La présentation de ces listes côté wallon obéit à deux objectifs stratégiques pour la N-VA. D’abord, un objectif de financement. On notera que le parti ne présente pas de candidat au Parlement wallon, prendre le pouvoir en Wallonie ou influer sur la politique régionale wallonne ne l’intéresse donc pas. Ses candidats visent la Chambre et rien d’autre (alors que les sièges y sont plus difficiles à décrocher). Il faut savoir que les suffrages que la N-VA recueillera en Wallonie dans le cadre de ces élections législatives s’additionneront aux voix qu’elle recueille en Flandre et à Bruxelles pour le calcul de la dotation publique versée aux partis politiques. Une partie de cette dotation est calculée au prorata du nombre d’électeurs. Même si la N-VA ne décrochait aucun siège côté wallon, elle récupérera avec ces candidats un financement supplémentaire.

Second objectif, la possibilité de peser sur le débat francophone. De le droitiser, par exemple, en contestant l’urgence climatique, en remettant en cause l’utilité de la sécurité sociale, en réclamant plus d’économies dans les services publics, sans oublier la sécurité et l’immigration. Cela peut avoir deux effets. Le premier, c’est celui de faire concurrence au MR et de prendre quelques pourcents des suffrages sur sa droite. La N-VA de 2024 sera l’équivalent des listes Destexhe en 2019. Il est peu probable qu’elle décroche des sièges, mais elle pourrait en faire perdre aux réformateurs. Deuxième effet, l’obligation pour le MR de prendre en compte ce nouveau concurrent qui apparait sur sa droite. Soit en marquant sa différence et en attaquant la N-VA. Soit en essayant de ne pas lui laisser d’espace et en droitisant son propre discours. Le MR est-il un parti de centre-droit (comme il le prétend souvent) ou un parti réellement à droite (comme le laisse penser de nombreux tweets), il va falloir choisir… Ajoutez les Libéraux-Démocrates (continuation des listes Detexhe), ou “Chez Nous”, ou encore d’autres listes très à droite : l’électeur wallon le 9 juin aura bien le choix entre plusieurs nuances de droite.

Fabrice Grosfilley