L’édito de Fabrice Grosfilley : la mobilité, sujet central
Dans son édito de ce jeudi 15 juin, Fabrice Grosfilley revenait sur le nouveau plan de mobilité de Saint-Gilles.
La commune de Saint-Gilles s’est donc dotée hier d’un nouveau plan de mobilité. Appellation officielle “projet de contrat local de mobilité“, appellation officieuse lancée par le bourgmestre “plan cool move“. Le mot “move” pour indiquer qu’on est bien dans la politique régionale d’ensemble qui consiste à apaiser la ville et à décourager le trafic de transit. Le mot “cool” pour suggérer qu’à Saint-Gilles, on va prendre son temps et tenter de ne brusquer personne. C’est un peu comme le personnage de monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir dans “le bourgeois gentilhomme” : les élus saint-gillois révolutionnent leur mobilité, mais dans l’optique d’une révolution de velours. C’est du good move qui ne veut pas dire son nom. Une réappropriation de l’espace public qui tourne réellement le dos au tout à la voiture des années 1960, mais qu’on ne souhaite pas annoncer tel quel.
Concrètement, on commencera par transformer la place Van Meenen en espace piéton. Ce sera la première phase visible de ce contrat. Ensuite, sept sous-mailles correspondant à autant de quartiers ont été dessinées, avec des réunions quartier par quartier à partir du mois de septembre. Le plus spectaculaire est évidemment le réaménagement de la barrière de Saint-Gilles. Avec un tram qui ne contournera plus l’ilot central, mais coupera au milieu, un trafic automobile ramené sur une bande, la fin des feux rouges remplacés par une logique de rond-point (priorité à ceux qui sont déjà engagés), la chaussée de Waterloo par laquelle on pourra quitter la barrière, mais plus y entrer depuis la petite ceinture, sans oublier une piste cyclable et des trottoirs élargis. On ajoutera de nombreux aménagements sur le reste du territoire, notamment des zones de rencontres, dans le quartier Bosnie par exemple. L’idée est bien de décourager le trafic de transit, de créer des boucles de circulation et d’encourager une coexistence plus pacifique entre les voitures, les cyclistes et les piétons.
La majorité communale joue gros sur ce projet. Parce qu’on a compris que la mobilité est le sujet qui divise les Bruxellois. Avec deux visions qui semblent s’opposer. D’un côté, les tenants de l’automobile qui estiment que pouvoir circuler est vital pour leurs activités économiques, quand n’est pas une question de liberté individuelle. De l’autre, des cyclistes ou des piétons qui estiment qu’il est temps de mieux partager l’espace, et que la voiture par la place centrale qu’elle occupe dans les aménagements de voirie, mais aussi, il faut dire, en raison d’une certaine culture de la vitesse, reste un danger pour les autres usagers. On sait tous que la voiture pollue, consomme de l’énergie et de l’espace urbain. Mais nous savons tous aussi qu’il est illusoire de vouloir s’en passer dans toute une série de cas de figure. Et la réalité de très nombreux Bruxellois est que nous combinons plusieurs modes de transport. La marche à pied (qu’on oublie parfois dans ce débat), les transports en commun, le vélo, la trottinette, l’automobile : nous pouvons les utiliser tour à tour et connaitre les avantages et les inconvénients de chacun de ces modes de transport. Ils sont de plus en plus rares les Bruxellois qui n’utiliseraient qu’un seul mode de transport.
Jouer du clivage, le renforcer, l’instrumentaliser est une tendance marquée du débat sur la mobilité ces derniers mois. Et on sent bien que la campagne électorale qui approche va encourager au manichéisme. Avec un risque d’hystérisation des échanges, car la tentation est grande de calquer sur le débat de la mobilité une forme de lutte des classes 3.0. D’un côté, les bobos à vélo qui veulent la gentrification. De l’autre, les prolétaires en voiture qui se lèvent tôt. C’est assez faux évidement, mais l’idée circule plus vite qu’une automobile sur la petite ceinture aux heures de pointe.
En 2024, le bilan sur lequel les électeurs se prononceront prendra évidemment la mobilité en ligne de compte. Ce sera même probablement l’un des choses les plus visibles que les élus pourront mettre dans leurs réalisations concrètes. Il y aura ceux qui auront réussi à faire bouger la ville, dans tous les sens du terme, avec des résultats plus ou moins heureux. Et ceux qui auront maintenu un statu quo qui ne convient pas à grande monde, et qu’on pourrait taxer de politique de l’immobilité. Il est probable en Région bruxelloise que le jugement de l’électeur sur cette question de la circulation soit au centre de nombreux choix électoraux.
Fabrice Grosfilley