L’édito de Fabrice Grosfilley : la jungle et les enfants

Ce lundi matin, dans Bonjour Bruxelles, Fabrice Grosfilley revenait sur les quatre enfants retrouvés en Colombie.

C’est un petit miracle. Vendredi soir (c’était plutôt samedi chez nous compte tenu du décalage horaire), l’armée colombienne a annoncé que les quatre enfants perdus dans la forêt amazonienne depuis 40 jours, venaient d’être retrouvés vivants. Quatre enfants de 13, 9, 5 et 1 ans, découverts à 3,5 km du point où l’avion dans lequel ils voyageaient s’était crashé le 1er mai. Ces quatre enfants ont donc vécu seuls dans la jungle. Ils ont trouvé de quoi se nourrir, ils ont pu échapper aux prédateurs, aux morsures d’insectes et autres petites bestioles sympathiques, aux innombrables dangers qui existent dans cette foret amazonienne, où l’on ne progresse qu’avec beaucoup de difficultés à coup de machette et le plus souvent armés. Pour rappel, l’avion à bord duquel les enfants voyageaient (un petit Cessna) s’était crashé avec trois adultes à bord, dont leur mère. Les trois adultes avaient péri sous le choc. Les quatre enfants, à l’arrière de l’appareil, avaient survécu, mais ils avaient disparu lorsque les secours étaient arrivés sur place.

Trois kilomètres et demi, cela n’a air de rien, mais, dans la jungle, c’est une distance considérable. Les sauveteurs les ont donc cherchés pendant plus d’un mois. Message de leur grand-mère diffusé par haut-parleur, tracts et kits de survie largués dans la jungle… l’opération a mobilisé plus de 100 militaires, mais aussi près de 200 indigènes (les membres des tribus qui vivent dans cette forêt et qu’on chasse souvent au gré des projets de déforestation) qui ont collaboré avec les secours. Les militaires ont d’ailleurs reconnu que l’aide de ces volontaires  indigènes a été indispensable pour comprendre le terrain. Et c’est sans doute cette même culture indigène qui a permis aux enfants de survivre. Leur connaissance de la jungle, de la nature, de ses règles, ses dangers et ses codes, leur a sauvé la vie.

“C’est la démonstration de la connaissance et de la relation qu’entretiennent les indigènes avec la nature, un lien enseigné dès le ventre de la mère”, estime l’Organisation nationale des peuples indigènes de Colombie. Ces quatre enfants ont su effectivement survivre en mangeant de la farine qu’il y avait à bord de l’avion accidenté, en récupérant un peu de la nourriture larguée au hasard par les hélicoptères de l’armée. Mais aussi en consommant des « graines » et en trouvant de quoi se désaltérer. Et, évidement, les deux grandes sœurs, 13 et 9 ans, sont les principales héroïnes de ce sauvetage miraculeux. Pour la Colombie, ce n’est pas qu’une “belle histoire avec une belle fin” : c’est aussi l’occasion de questionner les rapports que le pouvoir central, l’armée, et la population blanche de Colombie entretiennent avec les peuples indigènes primitifs qui entretiennent des traditions millénaires… mais ne représentent plus que 3,4 % de la population, et dont les terres ancestrales attisent de nombreuses convoitises. Voir ces peuples collaborer avec l’armée colombienne n’allait pas de soi.

Le sort de ces quatre enfants a donc légitimement ému la Colombie et même la planète tout entière. Il nous rappelle la dureté de la vie dans ces espaces sauvages, mais aussi la possibilité pour l’homme de s’y adapter, pour peu qu’il fasse preuve d’un peu d’humilité. La pertinence des traditions et des savoirs ancestraux, qui sont parfois décriés ou négligés par l’homme moderne. Et puis, aussi, notre attachement à tout ce qui concerne le monde de l’enfance. Quelques heures avant qu’on ne retrouve les petits Colombiens, c’est en France, à Annecy, que des enfants étaient la cible d’un forcené qui les poignardait à coups de couteau. Quatre enfants ont dû être hospitalisés et placés en “urgence absolue“, ce qui veut dire entre la vie et la mort dans la terminologie officielle française. Un assaillant dont les motivations sont troubles et relèvent visiblement de la psychiatrie. Mais aussi la démonstration que, par émotion interposée, quand on touche à des enfants, on touche à chacun de nous.

Fabrice Grosfilley