L’édito de Fabrice Grosfilley : la Hongrie, si loin, ou si proche ?

1352 kilomètres. C’est la distance qui sépare Bruxelles de Budapest. 1352 kilomètres par la route, soit 13 heures de voiture, en passant par Cologne, Francfort, Vienne et Bratislava. Par les airs, à vol d’oiseau, la distance est de 1128 kilomètres, l’équivalent de 2 heures de vol. À Budapest, vendredi dernier, un secrétaire d’État aux Affaires intérieures a menacé de renvoyer les migrants indésirables en Hongrie vers la capitale de l’Union européenne. Menace faite en conférence de presse, devant une rangée de bus qui affichaient tous en lettres lumineuses « Bruxelles » comme destination finale. On a le sens de la communication à Budapest. On soulignera que ce n’est pas la première fois que le régime autoritaire de Viktor Orban profère ce genre de menace. Viktor Orban, qui assure en ce moment, et pour quelques mois encore, la présidence tournante de l’Union européenne. Ces déclarations font en réalité suite à une condamnation de la Hongrie par la Cour de justice de l’Union européenne, pour violations répétées des règles européennes en matière de droit d’asile. « Si vous voulez des migrants illégaux, que Bruxelles les prenne elle-même » : c’est la ligne de communication des autorités hongroises.

Hier, cette petite séquence, qui visait essentiellement le public hongrois, a finalement rebondi à Bruxelles et s’est donc invitée dans notre campagne électorale. Ce sont les socialistes de la ville de Bruxelles qui ont repéré l’affaire et l’ont mise sur la place publique. “Nous bloquerons ces bus. Ils ne rentreront pas à Bruxelles“, a réagi Philippe Close auprès de l’agence Belga, demandant au Premier ministre Alexander De Croo et à la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden de faire en sorte, si la provocation hongroise devenait réalité, que ces véhicules soient bloqués à la frontière. “Outre le fait que l’on ne peut jouer avec le sort de ces personnes, la Hongrie doit cesser de croire que l’Union européenne est juste un Bancontact“, a-t-il ajouté. Même tonalité chez Nicole De Moor, la secrétaire d’État en charge de l’Asile et de la Migration au sein du gouvernement fédéral, qui exprimait sa vive désapprobation et demandait à la Commission européenne de réagir avec fermeté et détermination.

Protestation, dénonciation de la position hongroise, regret de cette assimilation entre la ville de Bruxelles et la politique de l’Union européenne, quand on voit Bruxelles comme une entité abstraite, une incarnation de la politique supranationale au-dessus des États, et non plus comme une ville, qui accueille certes les institutions de l’Union européenne, mais qui n’en reste pas moins une ville avec ses problèmes urbains et sa propre politique pour tenter d’y faire face. Et puis, dans ce concert de protestations, une fausse note : la réaction de Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement Réformateur.

Sur X (anciennement Twitter), Georges-Louis Bouchez a pris l’exact contre-pied des protestations de Philippe Close : “La Hongrie a raison de montrer à cette gauche bien-pensante les effets réels de sa politique. Vous refusez les renvois des sans-papiers, le recours à Frontex et le push back… Et vous vous plaignez après ? Quelle indignité“. En clair, Georges-Louis Bouchez ne voit pas réellement de problème dans la position hongroise. Et surtout, il accuse à demi-mot Philippe Close de manquer de cohérence en ne voulant pas, lui non plus, accueillir toute la misère du monde (l’expression est de Michel Rocard). Georges-Louis Bouchez s’est-il rendu compte qu’il avait frappé trop fort ? Quelques minutes plus tard Hadja Lhabib twittait à son tour; mais dans un registre fort différent, voyant dans l’annonce hongroise “une provocation qui entre en contradiction avec les obligations européennes (…) la politique migratoire est un défi commun qui doit être relevé de manière ordonnée et solidaire par l’ensemble des États membres“. Entre la position de Georges-Louis Bouchez, “la Hongrie a raison”, et celle d’Hadja Lahbib, “la Hongrie est en contradiction avec les autorités européennes”, il y a de l’espace pour glisser quelques dizaines d’autocars.

Alors oui, bien sûr, Philippe Close avait bien compris que l’outrance hongroise était un élément politique dont la condamnation pouvait servir sa propre campagne électorale. Il a, c’est vrai, été le premier à instrumentaliser la menace à des fins politiques. Mais la réaction de Georges-Louis Bouchez est quand même inquiétante à plus d’un titre. Parce qu’elle préfère donner raison au régime hongrois plutôt qu’à la ville de Bruxelles, elle indique le peu d’attention et de considération que le président du Mouvement Réformateur semble avoir pour les problématiques bruxelloises. Lui aussi instrumentalise donc ce débat à des fins électorales, avec un regard plus montois que bruxellois. Il est également étonnant, pour ne pas dire plus, de voir un président de parti démocratique aller dans le sens d’un pays qui a fait le choix d’une politique autoritaire et ouvertement anti-européenne. On l’a déjà dit et souligné : Georges-Louis Bouchez prend régulièrement ce genre de positions, qui sont autant de signaux qu’il envoie à des électeurs en demande de pouvoir fort et de politique anti-immigration. S’adresser aux déçus de la démocratie et aux xénophobes pour dénoncer à demi-mot nos obligations en matière de droits d’asile, c’est évidemment du populisme. Mais ça rapporte électoralement parlant. La politique en 2024 est devenue un exercice cynique où tous les coups sont permis. Et le fait de le dénoncer, comme on le fait dans cette chronique, est contre-productif. Cela ne fait que renforcer la visibilité de ceux qui trouvent que, finalement, la Hongrie n’est pas si loin que ça, que sa politique n’est pas si horrible qu’on veut bien le dire, et qu’elle pourrait bien, finalement, inspirer la nôtre.

Fabrice Grosfilley