L’édito de Fabrice Grosfilley : la Flandre et nous
Depuis hier, la Région flamande a donc son gouvernement. Mathias Diependaele a prêté serment et prononcé son discours de politique régionale, la déclaration de septembre, comme l’appellent les Flamands. Il s’en est d’ailleurs fallu de peu pour que cela ne devienne la déclaration d’octobre, mais tout est bien qui finit bien. Le nouveau gouvernement flamand compte neuf ministres. Derrière Mathias Diependaele, 6 femmes et 2 hommes : 4 ministres N-VA, en plus du ministre-président, 2 postes pour le CD&V et 2 postes pour Vooruit. On notera notamment la présence de Cieltje Van Achter comme ministre des Affaires bruxelloises et des Médias. Il faut rappeler qu’outre le siège du gouvernement et du parlement flamand, la Région bruxelloise accueille de nombreuses administrations et institutions flamandes, et que la Flandre investit chaque année plus d’un milliard à Bruxelles, notamment dans l’enseignement et la culture. Ce n’est donc pas anecdotique. Il est donc sans doute utile de jeter un œil à cet accord de gouvernement et d’essayer de l’analyser avec un regard bruxellois.
« Œuvrer ensemble pour une Flandre chaleureuse et prospère », c’est le titre donné à cet accord de gouvernement. Le document fait un peu plus de deux cents pages. Il annonce un retour à l’équilibre budgétaire dès 2027. La Flandre, parce qu’elle a des capacités budgétaires que les autres Régions n’ont pas, veut montrer l’exemple en matière d’orthodoxie budgétaire, mais ce n’est pas nouveau. Les économies annoncées n’empêcheront pas d’investir dans le domaine de l’éducation, de l’aide aux personnes en situation de handicap et aux personnes âgées, ainsi que dans les crèches. Concernant la fiscalité, les droits d’enregistrement pour une habitation principale passeront de 3 à 2 %. Les taxes auxquelles sont soumis les promoteurs immobiliers seront, en revanche, augmentées. La prime pour les bas salaires sera supprimée. Dans le chapitre mobilité, la prime à l’achat de voitures électriques sera supprimée, la vignette imposée aux camions sera revue à la hausse, et une vignette sera instaurée pour les conducteurs étrangers qui empruntent les routes flamandes, comme cela se fait en Suisse, par exemple. On notera encore que les obligations de rénovation en cas de vente d’un bien immobilier seront assouplies, de même que le calendrier des zones de basses émissions. Il n’est plus question, par exemple, d’interdire les voitures diesel dans les grandes villes en 2026, comme cela avait été prévu par les gouvernements précédents. Le prix des titres-services augmentera d’un euro, comme Bruxelles l’avait fait il y a deux ans. Enfin, en Flandre aussi, l’usage du smartphone sera interdit dans les écoles primaires, et la prime scolaire des parents étrangers qui ne suivraient pas de cours de néerlandais sera supprimée.
Que retenir de cette énumération non exhaustive ? D’abord qu’un certain nombre de mesures prises en Flandre font écho à ce qui se passe en Wallonie ou à Bruxelles : la hausse des titres-services, l’interdiction des GSM à l’école, la baisse des droits d’enregistrement, le calendrier de la zone de basses émissions. On voit bien que ces questions concernent autant les francophones que les néerlandophones. Chaque région continue cependant de prendre ses propres décisions à son propre rythme, avec le risque d’un calendrier pas toujours lisible pour le citoyen, mais aussi des effets de concurrence entre régions, ce à quoi nous reviendrons. Ensuite, pour le quotidien des Bruxellois, tout ne va pas toujours dans le bon sens. À ce stade, il n’est pas question que la Flandre investisse massivement dans son réseau de transports en commun, par exemple. Cela signifie que la pression des navetteurs sur la mobilité bruxelloise va continuer de peser. Le report des prochaines phases des zones de basses émissions aura également un impact sur la qualité de l’air que nous respirons à Bruxelles : la pollution automobile ne s’arrête pas par miracle à la frontière du ring. On notera aussi que la Flandre n’hésite pas à développer ses propres politiques en parallèle de celles mises en place par l’État fédéral : l’Autorité de protection des données, par exemple, qui veille au respect de la vie privée, est désormais doublée par une Commission flamande de la vie privée, et c’est vers elle que les ministres flamands doivent désormais envoyer leurs projets d’arrêté.
Et puis, d’un point de vue bruxellois, il y a plus inquiétant encore : lorsque la Flandre mais aussi la Wallonie annoncent la baisse des droits d’enregistrement, alors que la Région bruxelloise n’est pas en capacité de s’aligner, le différentiel entre les trois Régions augmente. Il faut se rappeler que les droits d’enregistrement sont de 12,5 %, mais qu’il y a un abattement sur les 175 000 premiers euros s’il s’agit de l’habitation principale et que le prix de la maison ou de l’appartement est inférieur à 600 000 euros. Cela signifie que, pour l’acheteur, il sera demain encore plus avantageux d’acheter un bien en Flandre ou en Wallonie plutôt qu’à Bruxelles. C’est le genre de mesure qui va donc renforcer l’exode des classes moyennes et accroître les écarts de richesse entre les trois Régions. Comme l’impôt continue d’être payé sur le lieu de résidence et non sur le lieu de travail, plus il y a de navetteurs, plus il y a de rentrées fiscales pour la Flandre et la Wallonie, et moins il y en a pour la Région bruxelloise. Cette concurrence fiscale entre Régions aura demain des impacts en termes budgétaires et de mobilité… mais la Wallonie et la Flandre seront mal placées pour dénoncer une situation qu’elles contribuent à créer. C’est dans les accords de gouvernement qu’on peut mesurer à quel point le fédéralisme de coopération n’est rien d’autre qu’un slogan creux.
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